Les superhéros d’Avignon
Un programme séduisant pour cette 71e édition du festival, mais la manifestation connaît finalement assez peu son propre public.
dans l’hebdo N° 1461 Acheter ce numéro
Il paraît plutôt sympathique, ce 71e Festival d’Avignon, dans sa version « in ». L’un de ses principaux invités n’est-il pas Christiane Taubira ? L’ex-ministre de la Justice, avec la collaboration d’Anne-Laure Liégeois, viendra tous les jours, entre le 8 et le 23, parler littérature et faire lire des textes à des acteurs, à des élèves du Conservatoire et à des « citoyens amateurs ». En allant de Mahmoud Darwich à Toni Morrison, on ne s’éloignera pas des grandes questions et de la beauté de la langue. Cerise sur le plateau, l’entrée sera gratuite, mais uniquement pour ce récital de midi. Bousculades assurées !
L’ouverture du programme purement théâtral reviendra au metteur en scène japonais Satoshi Miyagi, un habitué du festival, qui donnera à voir son Antigone dans la Cour d’honneur (6-10 juillet).
Avignon, ce n’est plus le rendez-vous des acteurs vedettes comme autrefois, mais celui des superhéros de la mise en scène. Dans ce registre, viennent l’Allemand Frank Castorf, avec un spectacle de près de six heures : La Cabale des dévots – Le Roman de Monsieur de Molière, d’après Boulgakov et sa propre expérience d’artiste lâché par les intendants de la culture (10-13 juillet), et le Belge Guy Cassiers, qui apporte deux réalisations, Le Sec et l’Humide, d’après Jonathan Littell (9-12 juillet), et Border Line, d’après Elfriede Jelinek (18-24 juillet), passant ainsi du thème des nazis à celui des réfugiés.
Dans la même cour des grands, le Portugais Tiago Rodrigues propose une pièce qu’il a écrite sur l’âme des théâtres, Sopro (7-16 juillet) ; l’Australien Simon Stone vient élargir une renommée déjà remarquable, mais encore limitée en France, avec un assemblage de scènes de pièces d’Ibsen, Ibsen Huis (15-20 juillet) ; et l’Anglaise Katie Mitchell donne une version en néerlandais et en polonais des Bonnes, de Genet.
Moins connu, le Birgit Ensemble, qui est parisien comme son nom ne l’indique guère, a conçu un diptyque qui fait plein feu sur le drame de la Bosnie et l’actuelle situation de la Grèce (Memories of Sarajevo, Dans les ruines d’Athènes, 9-15 juillet). Les Italiens Emma Dante, Ambra Senatore et Antonio Latella, le Grec Dimitris Papaioannou et le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb sont aussi à l’affiche.
Parmi les créations d’auteurs, Olivier Py, le directeur du festival, s’est, comme à l’habitude, inscrit dans le programme. Il adapte son roman satirique, Les Parisiens (8-15 juillet). Mais place est aussi donnée à des écrivains confirmés, comme Pierre-Yves Chapalain, François Cervantès, Pierre Alferi, et à des auteurs de la nouvelle génération, Caroline Guiela Nguyen, Olivier Balazuc, le tandem Grégoire Aubin et Marceau Deschamps-Ségura.
L’ombre de Koltès demeure sur l’écriture d’aujourd’hui : Yann-Joël Collin met en scène Roberto Zucco (11-13 juillet). Les modernes écrasent les classiques, comme les peu connus surclassent les divas (ces dernières n’étant guère représentées que par Juliette Binoche chantant Barbara). En dehors des Sophocle et Ibsen déjà cités, on ne repère guère, dans cette veine du patrimoine, qu’un Impromptu 1663,d’après Molière, par Clément Hervieu-Léger (11-13 juillet), La Fille de Mars, d’après Kleist, par Jean-François Matignon (19-24 juillet) et La Princesse Maleine,de Maeterlinck, par Pascal Kirsch (9-15 juillet).
Il y a aussi un Hamlet, adapté par Olivier Py. Là, il faut rendre hommage au directeur : il fait jouer des détenus avec qui il a travaillé longtemps. Les représentations ont lieu dans le centre pénitentiaire Avignon-Le Pontet (21-22 juillet). L’esprit d’éducation populaire n’a donc pas totalement disparu. De son côté, Robin Renucci va, avec Nicolas Stavy, dire Gary, Michaux, Proust, Rimbaud, dans un spectacle itinérant autour de la ville (L’Enfance à l’œuvre, 7-26 juillet).
La partie africaine du programme a, elle, fait polémique. Elle comprend surtout des chorégraphes, Dorothée Munyaneza, Serge Aimé Coulibaly, Boyzie Cekwana, des chanteurs et des musiciens, Rokia Traoré, Basokin… L’auteur congolais Dieudonné Niangouna a protesté sur sa page Facebook, reprise par Le Monde, Libération et France Culture : « Inviter un continent sans sa parole, c’est inviter un mort. » Py a encaissé et n’a rien changé. Dans ces spectacles et concerts, il y aura quand même des coups de poing littéraires, comme lorsque Dorothée Munyaneza fera siens les témoignages de femmes violées au Rwanda.
Oui, il est séduisant, ce programme, avec lequel les 1 400 pièces du « off » entreront en concurrence. Mais quelle idée l’équipe du festival « in » a-t-elle de ses spectateurs ? Elle s’est associée au Centre Norbert-Elias-université d’Avignon et des pays de Vaucluse pour une enquête, « Le Festival d’Avignon et son public en 2016 », qui est une belle suite de lieux communs. Ces braves gens, avec leur sociologue en chef Emmanuel Éthis, alignent les naïvetés du genre : « Le poids du bouche-à-oreille dans le circuit informationnel souligne la centralité de l’échange et de la rencontre. »
Estimant que la connaissance sociale du public est suffisante depuis 2004, nos chercheurs s’interrogent surtout sur l’utilisation de l’ordinateur ou du smartphone. À quelles classes sociales appartient le public ? La question n’est plus à l’ordre du jour, et l’on nous assure que le prix du billet n’intervient qu’à 1,9 % dans la prise de décision de chacun !
Festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet, 04 90 14 14 14, www.festival-avignon.com.
Festival off, du 7 au 30 juillet, www.avignonleoff.com.