L’homme, prédateur de la biodiversité
Agriculture intensive, grands projets inutiles… Notre mode de vie cause des ravages. Face aux preuves, quelle réponse politique ?
dans l’hebdo N° 1464-1466 Acheter ce numéro
Guépards, lions et girafes d’Afrique, orangs-outans de Bornéo, alouette des champs en France… L’érosion de la biodiversité sur la planète se poursuit à un rythme toujours plus effrayant. Dans sa dernière liste rouge mondiale, publiée en janvier 2017, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) révèle que, sur les 86 313 espèces étudiées, 24 431 sont classées menacées. Cet inventaire mondial a servi de base à une étude concluant à l’accélération de la disparition des groupes d’animaux sur Terre (voir notre entretien avec le naturaliste Bruno David ici).
Au-delà du constat préoccupant, les chercheurs alertent sur le peu de temps restant pour agir – « deux ou trois décennies au plus » – et pointent la responsabilité humaine, alimentée par « la fiction que la croissance perpétuelle peut se produire sur une planète infinie ». « Beaucoup moins fréquemment mentionnés sont les moteurs ultimes de ces causes immédiates de la destruction biologique, à savoir la surpopulation humaine – la croissance continue de la population – et la surconsommation, en particulier par les riches », précisent-ils.
En octobre 2016, le Fonds mondial pour la nature (WWF) publiait un rapport chiffré très dense affirmant que « ce sont désormais les limites de la résilience naturelle que nous avons franchies au niveau planétaire ». L’Indice planète vivante (IPV) – reflétant l’état écologique de la Terre – montre que l’effectif des populations de vertébrés a chuté de 58 % entre 1970 et 2012. « La gourmandise humaine est la première cause de disparition des espèces animales et végétales, que ce soit à cause de l’exploitation de la nature (pêche, chasse), du trafic d’espèces animales ou, surtout, de la disparition de leur habitat naturel à cause des défrichements ou de l’artificialisation des sols pour construire des zones commerciales, des aéroports, des ports…, détaille Stéphanie Morelle, chargée de mission dans le réseau Biodiversité de France nature environnement (FNE). Il devient urgent de mieux prendre en compte la biodiversité pour chaque action, et dès la conception d’un projet. »
L’éclosion de centres commerciaux, de zones d’activité surdimensionnées ou de nouvelles autoroutes, partout en France, ne cesse de poser la question des espèces protégées. D’ailleurs, les naturalistes apparaissent souvent comme les derniers remparts dans les luttes contre les grands projets inutiles et imposés. Sur le tracé prévu de l’A45, entre Lyon et Saint-Étienne, ils ont relevé une centaine d’espèces protégées, dont le busard cendré. Le triton marbré s’est mué en emblème de résistance au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le bocage nantais est devenu l’une des zones humides les plus observées du territoire, et ce grâce à l’engagement de ces amoureux de la nature, amateurs ou professionnels.
L’agriculture intensive et l’utilisation par réflexe des pesticides tuent à petit feu la biodiversité animale et végétale. Les hérissons ingurgitent les produits phytosanitaires ; les abeilles à miel, pollinisateur primordial, sont en danger en raison des fameux néonicotinoïdes ; et la vie aquatique (poissons, plantes, insectes) s’amenuise comme peau de chagrin sous l’effet du cocktail explosif pesticides-médicaments rejeté dans les rivières et les ruisseaux.
« Nous ne faisons pas assez appel à l’intelligence collective, souligne Stéphanie Morelle. Mais nous nous apercevons également que les gens ont des difficultés à vivre avec certains animaux, comme le loup. Son retour crée beaucoup de tensions, notamment avec les éleveurs, alors que, du point de vue biologique, c’est une bonne nouvelle puisqu’il est revenu naturellement. » La cohabitation avec ces canidés a été récemment réglementée par un nouvel arrêté pour 2017-2018, fixant le nombre maximal de prélèvement de loups à quarante, soit quatre de plus que pour la saison précédente.
Sur le plan politique, la biodiversité reste encore largement un angle mort, malgré les multiples plans et directives adoptés à l’échelle européenne. En France, l’intitulé de la loi promulguée le 8 août 2016 le montre dans son intitulé, « loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Une « reconquête » qui ne devrait pas exister si la prise de conscience avait eu lieu.