L’honneur du Tour de France
Les concepteurs du Tour ont concocté un parcours d’une cruauté inédite, qui fait le miel de ceux qui se repaissent du spectacle et des bons audimat.
dans l’hebdo N° 1462 Acheter ce numéro
Le manque d’oxygène en altitude n’explique pas toutes les envolées. « En terre d’élévation, il y a parfois des façons de voir qui exigent de ne rien regarder, sauf dans le détail. » Comme l’ensemble de ses confrères, le journaliste de L’Humanité qui a donné à son article cet incipit de haute voltige a été subjugué par la 9e étape du Tour de France, reliant Nantua (Ain) à Chambéry (Savoie). « Le sommet de cette 104e édition », une partition pour kamikazes, un immense champ de mines… Au concours des métaphores, n’en jetez plus, la légende est pleine !
Zieutons donc dans le détail. Les coureurs s’usaient sur les pentes ardues du mont du Chat, la dernière ascension avant l’arrivée. Quand soudain, voyant le bras levé de Chris Froome victime d’ennuis mécaniques, Fabio Aru en profita pour lancer une attaque, comme on assène un coup de couteau dans le dos d’un maillot jaune criblé de pubs Cochonou. Quelle trahison n’avait pas commis là le champion si vil d’Italie ? Ne dit-on pas « vicieux comme un Sarde » ? La morale du sport, les valeurs du Tour, la bienséance entre gentlemen, rien ne résistait à cet odieux forfait. À l’arrivée, grand seigneur, Froome remercia ses concurrents d’avoir temporisé, négligeant la vengeance toute shakespearienne qu’il s’était octroyée une fois revenu aux avant-postes en assénant un coup d’épaule à l’affreux Transalpin.
Zieutons de plus près encore. Ah ! Qu’il fut bouleversant le chœur des vierges effarouchées quand Richie Porte se fracassa dans la descente à plus de 70 km/h. Quelles images pénibles, quelle scène insupportable ! Personne ne pouvait imaginer une telle infortune, alors que les concepteurs du Tour avaient concocté un parcours d’une cruauté inédite, composé de trois cols successifs hors catégorie. « La sélection ne se fait plus dans les montées, mais dans les descentes », souffla un commentateur. Et de quelle manière ! Cet accident, qui aurait pu être tragique, fait le miel de ceux qui se repaissent du spectacle et des bons audimat, poussent au crime du dopage tout en se battant, bien sûr, pour l’honneur du sport. Dan Martin, emporté dans la chute de Richie Porte, mais qui put remonter sur son vélo, confia à l’arrivée : « Je pense que les organisateurs ont eu ce qu’ils voulaient. » Cela tient en deux mots : les jeux du cycle.
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