Une affaire qui roule

En 15 mois, le mouvement lancé par Emmanuel Macron est devenu le parti le plus riche de France. Une opération bien menée qui a pu compter dès le début sur de généreux donateurs.

Michel Soudais  • 26 juillet 2017 abonné·es
Une affaire qui roule
© photo : JEAN-PHILIPPE KSIAZEK/AFP

Macron, c’est une entreprise qui marche. En un peu moins de quinze mois, le mouvement lancé par celui qui était encore ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique est devenu le parti le plus riche de France. Grâce à sa victoire aux élections législatives, acquise dans la foulée du succès de son candidat à l’élection présidentielle, La République en marche a touché le gros lot : environ 9 millions d’euros par an pour son score au premier tour des législatives (28,2 %) et près de 12 millions d’euros par an pour ses 309 députés. Avec un peu plus de 100 millions de financement public ainsi assuré pour les cinq prochaines années, le retour sur investissement est exceptionnel.

L’homme du Louvre et l’homme du panthéon

Il marche sur l’air de « l’hymne à la joie » dans la cour du Louvre. Seul. Volontaire. Habité et heureux. Trois minutes de plan séquence, c’est long. Mais, en ce jour d’élection, Emmanuel Macron veut démontrer qu’il lui faut un peu de temps pour quitter sa peau de candidat et devenir président de la République. Macron marche. Loin d’être un simple clin d’œil au nom de son mouvement politique, c’est une mue symbolique qui est censée advenir ce soir, en direct, sous les yeux du monde. Les catholiques appellent cela la « transsubstantiation » : quand, par la consécration, le pain et le vin changent de substance pour devenir le corps et le sang du Christ. Au Louvre, ce 8 mai, c’est cette longue marche qui doit faire office de consécration républicaine. Las, l’opération de communication est un peu ratée. Loin d’être majestueuse, la marche est ennuyeuse. Macron avait en tête François Mitterrand, qui, le premier, avait mis en scène sa « transsubstantiation » lors de son investiture au Panthéon en 1981. À la télé, « Tonton » marchait, lui aussi, sur la 9e Symphonie de Beethoven. Mais la marche mitterrandienne a été infiniment mieux pensée que la marche macronienne. D’abord parce que, sur ces images de 1981, le socialiste n’est pas seul : avant d’aller se recueillir, une rose à la main, dans le temple républicain, il s’est au préalable détaché d’une foule en liesse. Ensuite parce que, là où Macron se fait filmer au plus près, caméra à l’épaule, comme dans une étape du Tour de France, la caméra du Panthéon est immobile. Du coup, d’un point minuscule, Mitterrand semble grandir à mesure qu’il avance. En un plan, tout est dit : du grand art. Pauline Graulle

En présence d’un résultat aussi surprenant, la tentation est grande de conter l’épopée d’une start-up à qui la compétition électorale a souri, la success story du « banquier qui voulait être roi », comme l’annonçait le sous-titre d’une biographie un tantinet hagiographique [1]. Nombreux sont ceux à y avoir cédé depuis qu’Emmanuel Macron a traversé la cour du Louvre. Et c’est vrai que la course victorieuse d’En marche ! s’y prête. On ­rappellera que personne (ou presque) n’imaginait une possible victoire quand, le 6 avril 2016, le fringant ministre a profité d’une « rencontre citoyenne » dans sa ville natale, Amiens, pour annoncer la naissance d’un « mouvement politique nouveau qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche », mais à ses initiales. Le site Internet, minimaliste, ouvert simultanément propose d’adhérer gratuitement. Avec un objectif : « essayer d’avancer » face aux « blocages de la société ».

Pour ce faire, les premiers « volontaires » vont se lancer dans une « grande marche », appellation maison d’un porte-à-porte à travers le pays qui, par le biais d’un questionnaire administré, va faire ressortir les principales craintes, attentes et espoirs des Français.

Ce « diagnostic », réalisé par Proxem, une start-up spécialisée dans l’analyse sémantique, a permis de construire un programme politique collant aux attentes des citoyens. Agglomérant au passage toujours plus d’adhérents étrangers au militantisme politique. Ainsi, quand En marche ! invite ses membres à « prendre cinq places parisiennes » le 21 janvier, la référente du XIe arrondissement précise dans un mail que cette opération de deux petites heures à la Bastille « sera l’occasion d’échanger autour des propositions au cœur du programme présidentiel d’Emmanuel Macron et de mieux faire connaissance entre adhérents ». Une opération de tractage est également prévue, mais uniquement « pour les plus téméraires » ! De quoi conforter l’image d’un mouvement aussi spontané que populaire, qui revendique au bout du compte quelque 370 000 inscrits.

L’histoire vraie de cette mise en marche commence toutefois bien avant ce 6 avril 2016. Quand Emmanuel Macron lance son site Internet, cela fait trois mois que le nom de domaine « en-marche.fr » est enregistré. En marche ! n’est que le nom public d’une Association pour le renouvellement de la vie politique (ARVP), déclarée le 20 février 2016, en même temps qu’une Association de financement du parti Association pour le renouvellement de la vie politique (AFRVP), destinée à recueillir des fonds pour l’ARVP, laquelle est inscrite au registre du commerce et des sociétés deux semaines plus tard sous la raison sociale « EMA EN MARCHE ». Détail piquant : le siège social de ces associations est au Kremlin-Bicêtre, au domicile privé de Véronique Bolhuis, présentée comme le « directeur de la publication » du site, et Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne. Ce think tank libéral, très influent au Medef, n’est pas le seul à être associé à la gestation du mouvement : Thierry Pech, de Terra Nova, fait aussi partie du noyau dur autour du directeur de cabinet adjoint d’Emmanuel Macron, Julien Denormandie, de son conseiller en communication, Ismaël Emelien, ou encore de Philippe Grangeon, ex-conseiller de DSK à Bercy devenu directeur de la communication de CapGemini.

L’opération a été méthodiquement préparée depuis Bercy, où le futur président est resté à peine deux ans. Le ministre y consultait à tour de bras. « Et pas uniquement des (petits ou grands) patrons, ou des économistes », note le journaliste Marc Endeweld dans la première biographie de cet ambitieux parue en novembre 2015 [2], puisqu’il y recevait « aussi des intellectuels, des acteurs de la société civile, des jeunes start-upers, des communicants… »

« Il multipliait les dîners, parfois deux par soir », rapportent les journalistes Marion L’Hour et Frédéric Says [3], qui font également état de la réception de centaines d’« amis » Facebook pour des soirées de discussion assimilables à des pré-meetings. En 2016, « seulement huit mois, jusqu’à sa démission en août », révèlent-ils, « Emmanuel Macron a utilisé à lui seul 80 % de l’enveloppe annuelle des frais de représentation accordée à son ministère […], soit au moins cent vingt mille euros utilisés […] pour ses seuls déjeuners et dîners en bonne compagnie ». C’est dans ces rencontres qu’a démarré l’épopée d’En marche !, conçue d’abord comme une gigantesque levée de fonds. Impossible de marcher sur l’Élysée sans une grande quantité de ce picotin qu’est l’argent.

À son lancement, le nouveau parti avait enregistré « environ 400 000 euros de dons et promesses – à 95 % des grands donateurs à 7 500 euros », note Mediapart, qui, en analysant les Macronleaks, a pu reconstituer cette quête. Les réseaux bancaires, les ténors de la finance et les patrons de start-up sont les premiers mobilisés pour un fundraising hors-normes piloté par Christian Dargnat, ex-patron de la filiale de gestion d’actifs de BNP Paribas. À la fin de l’année 2016, 70 % des sommes récoltées provenaient de 669 donateurs (dont plus de 400 à plus de 5 000 euros) approchés dans des dîners, déjeuners et cocktails avec la participation minutée du candidat. Leur contribution à la collecte de près de 13 millions d’euros engrangés en fin de campagne aura été déterminante pour permettre à En marche ! d’annexer « La République » à son nom, et de devenir cette entreprise prospère qui entend consacrer l’essentiel de son financement public à des « investissements productifs » destinés à asseoir son développement. 

[1] Emmanuel Macron. Le Banquier qui voulait être roi, François-Xavier Bourmaud, L’Archipel.

[2] L’Ambigu monsieur Macron, Marc Endeweld, Flammarion.

[3] Dans l’enfer de Bercy, Marion L’Hour et Frédéric Says, JC Lattès.

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