Vaccins : dissensions sur l’obligation

Le gouvernement entend imposer la vaccination contre onze maladies au lieu de trois au 1er janvier. Certains médecins y sont favorables, d’autres craignent que ce soit contre-productif. Débat.

Ingrid Merckx  • 12 juillet 2017 abonnés
Vaccins : dissensions sur l’obligation
© photo : AMELIE-BENOIST/BSIP/AFP

Alain Fischer Médecin, professeur d’immunologie pédiatrique et chercheur en biologie.

Vincent Renard Président du Collège national des généralistes enseignants.

Le 5 juillet, Gérard Collomb a confirmé ce que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, avait laissé entendre le 16 juin : le gouvernement souhaite faire passer le nombre de vaccins obligatoires de trois (diphtérie, tétanos et poliomyélite) à onze (+ haemophilus, coqueluche, rougeole, oreillons, rubéole, pneumocoque et méningocoque et hépatite B). Soit dix injections étalées sur les deux premières années de l’enfant. Objectif : améliorer la couverture vaccinale pour passer de 70 % qui les reçoivent déjà à 95 %.

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Les médecins n’ont pas attendu les annonces du Premier ministre pour reprendre un débat ancien : l’obligation est-elle le moyen le plus efficace de convaincre la population de se vacciner contre des maladies dangereuses, dont certaines refont surface et laissent craindre un nouveau risque épidémique ? Alain Fischer se félicite de cette décision. L’obligation sur ces vaccins figurait parmi les recommandations de la Concertation citoyenne sur la vaccination, qu’il a présidée en 2016. Le professeur Vincent Renard est plus mitigé : l’institution qu’il préside a publié, le 27 juin, un communiqué défendant l’incitation plutôt que l’obligation.

La France va passer de trois vaccins obligatoires à onze. Est-ce une bonne idée ?

Vincent Renard : Le Collège national des généralistes enseignants ne se reconnaît pas dans les positions anti-vaccinales. Notre position, « l’incitation plutôt que l’obligation », fait porter le débat sur la méthode. La problématique de l’insuffisance vaccinale fait appel à des situations qui procèdent de la représentation des patients, de leur culture, de leur compréhension… C’est une question complexe à laquelle il ne peut y avoir de réponse simpliste. On ne voit d’ailleurs pas très bien sur quoi l’obligation vaccinale va pouvoir s’appuyer, surtout face à des personnes qui sont idéologiquement opposées à la vaccination. On court donc le risque que l’obligation soit vécue comme un modèle issu d’un paternalisme médical qui impose des traitements aux gens sans leur donner le choix. Elle se montre en contradiction complète avec un certain nombre d’évolutions sociétales, relatives au principe d’autonomie du patient, mais aussi réglementaires, comme la loi sur les droits des malades de 2002, qui pose comme principe le consentement libre et éclairé du patient.

L’obligation ne répond ni au souci d’efficacité ni aux évolutions que nous observons depuis quinze ans. Elle est issue du triomphe de la vaccination qui, pour ceux qui s’en souviennent, a remporté des succès majeurs, notamment contre la variole, la poliomyélite…

Alain Fischer : La vaccination est la plus grande avancée de la médecine depuis la fin du XIXe siècle : selon l’Organisation mondiale de la santé, elle sauve 2,5 millions de vies par an dans le monde. Elle a permis l’éradication de la variole, a fait disparaître de France la diphtérie et la poliomyélite, a réduit le nombre de cas de coqueluche, de rougeole, a fait diminuer les cancers du foie et les cirrhoses dus à l’hépatite B ainsi que les méningites bactériennes. Et beaucoup moins d’enfants naissent avec des malformations causées par une rubéole pendant la grossesse. De nombreux pays aimeraient disposer des vaccins disponibles en France. Le débat sur la vaccination relève quand même d’un problème de pays riches. La rougeole tue 135 000 enfants chaque année dans le monde faute de vaccins. En France, l’insuffisance vaccinale entraîne encore des morts illégitimes. Et ces huit vaccins recommandés sont aussi importants que les trois obligatoires.

Dans des pays comme la Grande-Bretagne et la Suède, où la confiance en la vaccination et la couverture vaccinale sont bien meilleures, l’obligation serait absurde. Mais, en France, des enquêtes récentes montrent que 15 à 20 % des jeunes adultes ne feraient plus vacciner leurs enfants si on levait l’obligation. Aucun responsable de santé publique ne peut se permettre d’accroître les risques épidémiques.

L’obligation n’est pas une bonne solution, mais c’est la moins mauvaise… Il faut rappeler que la vaccination est affaire de solidarité : en se vaccinant, on se protège et on protège les personnes vulnérables – nouveau-nés, patients atteints de maladies chroniques et personnes âgées qui ne peuvent bénéficier directement de la vaccination.

Comment comprenez-vous la méfiance croissante vis-à-vis de certains vaccins ?

A. F. : Nous assistons depuis vingt ou trente ans à une défiance croissante vis-à-vis des vaccins. Les gens sous-estiment les bienfaits de la vaccination et ne se sentent plus concernés par des maladies qui tuent ou provoquent des séquelles très graves. Certains médecins ont également mis en avant l’allégation de toxicité de certains vaccins. Ce qui est scientifiquement non fondé. Un faussaire britannique du nom d’Andrew Wakefield a lié la survenue de l’autisme au vaccin contre la rougeole. Les données étaient fausses, mais cela n’a pas empêché Donald Trump de les reprendre pendant sa campagne sur un mode complotiste. Ce fake news a fait beaucoup de dégâts en Grande-Bretagne.

En France, nous avons connu la polémique autour du vaccin contre l’hépatite B dans un contexte de promotion maladroite et de concomitance apparente mais non réelle avec une augmentation des cas de sclérose en plaques. C’était une coïncidence et non un lien de cause à effet. Au moins huit études scientifiques mondiales l’attestent. D’ailleurs, cette alerte n’a eu lieu qu’en France alors que ce vaccin est utilisé dans le monde entier. Or, les Français ne sont pas plus sujets que d’autres à des complications vaccinales ! Malgré cela, le doute à l’égard de ce vaccin persiste pour 40 % d’entre eux.

Autre polémique : la fronde contre les adjuvants aluminiques, accusés de provoquer un syndrome de fatigue chronique ou des pathologies neurologiques. L’idée d’un lien entre ces pathologies et les adjuvants n’est défendue qu’en France et par quelques chercheurs étrangers. La communauté scientifique estime qu’il n’y a pas de données démontrant une relation causale. Néanmoins, une minorité de la population pense qu’on surestime le risque infectieux et qu’on sous-estime le risque vaccinal. Les vaccins peuvent provoquer, très rarement, des effets secondaires, mais la balance bénéfice-risque penche très largement en faveur des vaccins.

V. R. : Il faut en effet distinguer méfiance vis-à-vis de la vaccination et défiance vis-à-vis de certains vaccins. Celle-ci a considérablement augmenté à la suite de la campagne de vaccination systématique contre l’hépatite B en 1994. Il faut tirer quelques leçons de l’histoire et s’interroger sur l’obligation faite alors. Elle a handicapé la couverture vaccinale, renforcé le mouvement anti-vaccins et avait sonné la capitulation des tutelles sur le sujet.

Aujourd’hui, rien dans la situation sanitaire ne justifie qu’on passe à l’obligation vaccinale. Alors même que d’autres questions médicales pourraient justifier des obligations : il y a entre 25 000 et 30 000 porteurs de VIH en France qui l’ignorent. On pourrait rendre le dépistage systématique avec injonction de traitement. Ou interdire le tabagisme. Quelle tutelle est prête à s’engager pour cela ? La vaccinologie semble ne pas répondre aux mêmes règles sanitaires que les autres questions médicales. L’injonction peut avoir des effets pervers. Reste que les arguments en faveur de l’hésitation vaccinale, comme les doutes concernant les adjuvants, sont scientifiquement ténus, voire infondés.

Le poids des lobbys fausse-t-il le débat ?

V. R. : Il est évident que les vaccins représentent un marché énorme pour des -industriels. Ils posent très clairement la question de l’indépendance des institutions face aux lobbys. Les anti-vaccinaux, quant à eux, pèsent non pas financièrement mais idéologiquement. Ils ont une grande influence sur nos patients. Mais il faut argumenter sur les vaccins comme sur les autres sujets et expliquer : le Collège national des généralistes enseignants s’est prononcé, par exemple, contre le dépistage systématique du cancer de la prostate, pour lequel d’autres lobbys se sont manifestés. Les médecins généralistes restent de manière écrasante en faveur de la vaccination au-delà des influences diverses. Le souci n’est donc pas lié au déficit ou à la qualité des vaccinateurs mais à la difficulté pour les patients de faire le tri dans les informations. Et puis qui dit obligation, dit exemptions, fraude, contournements, sanctions… Qu’allons-nous faire des problèmes causés par cette obligation inutile demain ?

A. F. : Les lobbys existent, les conflits d’intérêts aussi, mais la vaccination n’est pas une affaire instruite par l’industrie pharmaceutique. Il ne faudrait plus porter de ceinture de sécurité parce que les fabricants de ceintures gagnent de l’argent ? Parmi les gens qui ne sont pas favorables à l’obligation, tous ne sont pas anti-vaccinaux. Mais, chez les anti-vaccinaux, on trouve par exemple le Front national ou Nicolas Dupont-Aignan, mais aussi des écologistes comme la députée européenne Michèle Rivasi, qui tient des discours infondés sur la vaccination. Une des caractéristiques des anti-vaccinaux est qu’ils ne se disent jamais anti-vaccins. Même le Pr Joyeux ! Mme Rivasi, par exemple, affirme qu’il faut faire un vaccin DTP sans adjuvant. Ce qui revient à s’opposer de facto à la vaccination.

Pourquoi les autorités de santé seraient-elles sous influence de l’industrie pharmaceutique quand il s’agit de vaccins et non pour le reste de la médecine ? Dans notre modèle économique, les produits de santé sont du domaine privé. Que l’industrie fasse tout ce qu’elle peut pour vendre ses produits, c’est logique ; que des personnes entretiennent des conflits d’intérêts, cela existe. Mais soupçonner la ministre de promouvoir la vaccination au nom de la promotion de l’industrie pharmaceutique n’a aucun sens.

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Pourquoi pas une fabrication publique ?

A. F. : La plupart des vaccins viennent de l’étranger, sauf ceux fabriqués par Sanofi. De plus, cette industrie dispose d’un savoir-faire indispensable. Il est irréaliste de créer ex nihilo une industrie fabriquant des vaccins avec des fonds publics. Et pourquoi pas les autres médicaments ? Il faut négocier avec l’industrie pour qu’elle commercialise les médicaments à des prix moins élevés. Par ailleurs, la Concertation citoyenne avait recommandé la prise en charge intégrale du coût des vaccins par la Cnam. Ce serait un message positif pour montrer l’importance de la vaccination dans le cadre des mesures de prévention en santé.

V. R. : La solution semble difficile compte tenu des investissements initiaux nécessaires et du suivi des processus industriels. Cela dit, je ne suis pas expert du monde industriel et je n’ai pas la réponse à cette question.

Société Santé
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