Ces réformes que l’on déteste
L’illusion de la nouveauté, survendue par certains médias pendant la campagne, n’a pas résisté longtemps à la réalité.
dans l’hebdo N° 1467 Acheter ce numéro
Au fond, Emmanuel Macron n’a pas complètement tort. Les Français « détestent » les réformes. Surtout celles qui les appauvrissent ou les mettent socialement en danger. La belle découverte ! À force de jouer avec ce mot fourre-tout, il s’est piégé lui-même. Car tout dépend évidemment de ce que l’on entend par « réforme ». Le mot, qui a si longtemps été synonyme de progrès social, est devenu au cours des vingt dernières années l’instrument d’une ruse politique grossière. Il désigne tout projet qui vise à reprendre aux salariés ce que les luttes d’autrefois leur avaient apporté. Et c’est bien de cela qu’il s’agit aujourd’hui avec la loi travail. Ceux qui en douteraient, faute de s’être plongés dans ces sujets rugueux, n’ont qu’à entendre les encouragements de Pierre Gattaz.
Le président du Medef est derrière le président de la République comme un supporter du PSG derrière son équipe favorite : « Allez Emmanuel, ne lâche rien ! » Mais, pour l’exécutif, il ne s’agit pas seulement d’imposer au pays un bouleversement social sans précédent ; il faut aussi y parvenir au moindre coût politique. Certes, rien ne peut vous arrêter quand vous avez une majorité à l’Assemblée. Mais un interminable face-à-face avec le mouvement social qui transformerait le jeune et sémillant Président en chef de brigade de CRS ne collerait pas trop au nouveau récit élyséen. Ce pourrait être le début d’une longue agonie politique, hypothéquant les autres projets, sur les retraites et l’assurance chômage notamment.
Il y a dans la phrase présidentielle un mélange de provocation et de naïveté. Emmanuel Macron fait partie de cette génération qui croit que la communication peut tout. Faire croire, par exemple, que la loi travail est un progrès social. Et, pourquoi pas, que Pierre Gattaz est un syndicaliste ouvrier. Même le coup de la pédagogie ne fonctionne plus. Christophe Castaner s’y est encore essayé le week-end dernier. On connaît l’argument, usé jusqu’à la corde : si les Français sont hostiles à la loi travail, c’est qu’on leur a mal expliqué… ou qu’ils n’ont rien compris… Bref, le discours macronien, nourri de tous les poncifs communicationnels de notre époque, ne passe déjà plus. On sourirait presque lorsque son illustre prédécesseur est montré en exemple par les médias : après trois mois à l’Élysée, François Hollande, lui, était encore bien plus haut dans les sondages. À tel point qu’Emmanuel Macron s’apprête à imiter une méthode qu’il avait critiquée. Celle des « confidences » (le fameux « off ») à quelques happy few du monde médiatique. Circonvenir l’opinion, toujours !
Tout est fait pour désamorcer une potentielle mobilisation, et pour masquer les enjeux d’un débat qui aura été escamoté jusqu’au bout. Par la procédure des ordonnances d’abord, par le mode de consultation des syndicats ensuite, d’une puérilité affligeante puisque les négociateurs n’auront jamais eu le droit d’emporter les différentes versions du projet. On peut regretter, au passage, que FO ait apporté sa pierre à ce monument d’illusion. Il y a bien un vieux proverbe arabe qui dit qu’il faut « toujours suivre le menteur jusqu’à sa porte ». Autrement dit, qu’il faut feindre de le croire jusqu’à ce que la vérité éclate, mais les intentions gouvernementales étaient cette fois trop évidentes pour jouer au jeu des fausses apparences.
L’heure de vérité sonne donc pour le gouvernement, qui devait rendre publiques ses ordonnances ce jeudi [1]. Elle sonne aussi pour l’opposition politique et syndicale. Le 12 septembre, la CGT et SUD pour une journée d’action décentralisée. Le 23 suivant, la France insoumise. De ce côté, Jean-Luc Mélenchon joue gros aussi. Si son leadership semble déjà bien installé, c’est sa force de frappe que l’on mesurera ce jour-là. Et sa capacité d’entraînement sur les autres formations de l’opposition. On attend de connaître le positionnement du PCF, qui ne sait plus comment se dépêtrer de la technique mélenchonienne : je suis pour l’unité, mais derrière moi, et à mes conditions… Faut-il se soumettre aux insoumis ? Pour l’intérêt supérieur du mouvement social, nous pensons que oui. Sur le fond, Mélenchon a habilement porté le débat contre la loi travail sur le terrain de la légitimité.
Du côté du gouvernement, on souligne que la loi figurait, au moins dans ses grandes lignes, dans le programme du candidat. Mais, franchement, combien d’électeurs ont voté en faveur d’un tel bouleversement social, alors que le candidat Macron a surtout été l’heureux bénéficiaire d’un rejet du Front national ? Son offensive sociale pose donc réellement une question démocratique. De plus, la revendication de légitimité est brouillée par sa prétention à dépasser le clivage gauche-droite. Où est la gauche dans son projet ? Où est-elle dans l’augmentation de la CSG ? Dans la réduction des contrats aidés ? Dans la diminution des aides au logement ? Dans les coupes budgétaires dans l’éducation ? En fait, l’illusion de la nouveauté, survendue par certains médias pendant la campagne, n’a pas résisté longtemps à la réalité. C’est « à droite toute ! », avec de vieux projets patronaux à peine rafraîchis par des mots qui ne fonctionnent plus.
[1] Vous trouverez nos analyses jeudi après-midi sur Politis.fr.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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