« Dans les quartiers populaires, nous ne luttons pas avec une pancarte, nous survivons »
La coordination nationale « Pas sans nous » a organisé sa première université d’été des quartiers populaires, à Angers. Habitués à l’indifférence des politiques, ces habitants redoublent d’efforts pour faire entendre leur voix. Entretien avec Fatima Mostefaoui, leur coprésidente.
L’école comme socle démocratique, l’impact des discriminations sur la santé, la rénovation urbaine au service des habitants, l’économie solidaire comme rempart à la précarité, les difficultés des conseils citoyens… Les thématiques des tables rondes de l’université d’été des quartiers populaires étaient précises, riches et pertinentes. Un succès pour Fatima Mostefaoui, coprésidente de Pas sans nous (PSN), à l’initiative de l’événement. Arrivée il n’y a qu’une dizaine d’années dans le militantisme en s’engageant dans un petit collectif de locataires du quartier des Flamants, à Marseille, elle a vite senti que Pas sans nous pouvait être l’occasion pour les habitants des quartiers populaires de faire bloc.
Quel est le but de ce rassemblement inédit de Pas sans nous ?
Fatima Mostefaoui : Cette université d’été devait avoir lieu l’année dernière mais nous avons été pris par le temps, par les problèmes à résoudre au quotidien dans nos quartiers… Comme Pas sans nous est une coordination nationale, avec des antennes locales, il était important d’organiser un nouveau temps de rencontres pour essayer de trouver des réponses à une question : comment faire, et mieux faire, pour laisser les habitants parler eux-mêmes de leur situation, leurs soucis, leurs envies ? Nous sommes tous différents, nous venons de cultures et de milieux différents et ce mélange nourrit les discussions. Notre façon de faire est très simple : les gens nous racontent leur vie, et nous essayons de trouver des points communs entre eux pour faire émerger les meilleures solutions. Le but de PSN est de partir de la parole du concerné pour la faire monter, et pas l’inverse. Dans les quartiers, il y a des experts qui travaillent tous les jours, gratuitement, et il faut prendre en compte leurs témoignages.
Pas sans nous souhaite donc devenir le nouvel interlocuteur fort entre les quartiers populaires et l’État ?
Je ne veux pas dire que nous sommes des porte-voix, ou un syndicat de quartier, car finalement, tous ceux qui y vivent peuvent l’être. Nous avons tous posé un constat sur la table, et nous cherchons comment faire pour que ce constat soit pris en compte, pour que des collectifs se montent, pour que toute cette belle énergie présente dans les quartiers se transforme en actions positives. Nous n’avons jamais entendu parler des quartiers populaires pendant les élections. C’est juste un mot pour eux. L’élection du nouveau président ne changera rien mais nous avons l’habitude. Pas sans nous doit parvenir à traduire cela dans les quartiers populaires pour que les habitants se soulèvent, affirment leur ras-le-bol d’être considérés comme des citoyens de seconde zone et leur envie d’être entendus, pas seulement écoutés.
Quelles priorités avez-vous identifiées ?
Nous sommes en politique de la ville et nous y resterons, même s’ils changent le nom. La question prioritaire est : comment gérer cette politique pour qu’elle serve réellement nos quartiers et pas seulement dans le bâti et la rénovation urbaine ? Il faut ramener le droit commun dans les quartiers car nous ne sommes pas des marginaux. On nous demande toujours de créer du lien : les liens existent déjà. On nous demande de vivre ensemble : nous vivons déjà ensemble. Nous, nous demandons de la dignité, du droit et l’égalité. Que nos enfants aient la même éducation qu’ailleurs, de l’emploi, des logements décents, des loyers décents, des transports en commun…
Les quartiers populaires sont dans la même lutte depuis des décennies. La fatalité n’a-t-elle pas rattrapé ses habitants ?
Dans les quartiers, nous ne sommes pas fatalistes mais nous ne luttons pas avec une pancarte : nous survivons. Quand on affirme qu’une dame ne peut pas acheter une boîte de sardine à 15 centimes, c’est difficile à croire mais c’est la réalité de certaines personnes. Comment calculer mon budget pour qu’il me reste au moins 20 euros à la fin du mois ? Que faire pour que mon gamin ne rentre pas dans un réseau, pour qu’il ait une bonne éducation ? Que faisons-nous pour vivre ensemble sans qu’il y ait des opprimés et des oppresseurs ? Je veux miser sur les jeunes car leurs cerveaux et leur énergie sont encore forts, mais ils ont du mal à se mobiliser car ils sont sollicités depuis des années dès qu’on a besoin d’eux, mais ont connu beaucoup de déceptions et de désillusions.
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