EELV en chantier

Encore sous le choc d’une séquence politique qui les laisse exsangues, les écologistes veulent croire que leur destin politique est toujours devant eux.

Patrick Piro  • 30 août 2017 abonnés
EELV en chantier
© photo : PHILIPPE HUGUEN/AFP

Ouf, aucune critique sur la nourriture, sourit Marine Tondelier, qui lance à la tribune un appel aux bénévoles pour l’épluchage des pommes de terre. Malo-les-bains – « la plus belle plage du Nord » – s’étale sous le soleil au pied du Kursaal, le palais des congrès. « Super ambiance ! » En termes badins, la responsable des Journées d’été au bureau exécutif d’Europe écologie-Les Verts (EELV) en dit aussi long que le discours du secrétaire national sur l’état des troupes réunies à Dunkerque du 24 au 26 août : entre apathie, crise financière et méthode Coué. Les dirigeants redoutaient la débandade – 250 participants –, il en est venu trois fois plus.

Car c’est un parti laminé par deux années de déboires qui aborde la rentrée politique : plus aucun député (contre 18 lors de la précédente législature), une kyrielle de défections, notamment de la part des anciens cadres, plus que 4 500 adhérents (contre 7 000 l’an dernier), une chute vertigineuse des revenus, un conflit social déclenché par le licenciement, mi-août, de cinq salariés pour raisons économiques (ils étaient 14 en 2016)… La dégringolade suffirait à alimenter de sérieux doutes sur les chances de survie d’EELV. S’y ajoute une interpellation plus cruciale : quel avenir pour l’écologie politique en France ? « Paradoxe, souligne Julien Bayou, l’un des porte-parole, alors que nos idées n’ont jamais été aussi influentes, et que nous recueillons à peu près le même nombre de voix aux législatives qu’en 2012, nous n’en tirons pas les bénéfices. » Benoît Hamon a fait sa conversion écologique, préparant le ralliement de Yannick Jadot, poulain d’EELV, pour la présidentielle. Nicolas Hulot est ministre de l’Écologie mais a pris ses distances avec EELV. À l’Assemblée nationale, le perchoir est tenu par François de Rugy, qui a claqué la porte du parti il y a plusieurs mois, tout comme Barbara Pompili, qui préside la commission du Développement durable. Et ce sont les élus de la France insoumise qui devraient s’imposer comme les meilleurs défenseurs de l’écologie face aux projets du gouvernement. « Pourtant, nous restons les seuls à porter un projet authentiquement écologiste, notre présence est indispensable », affirme Sandrine Rousseau, ex-porte-parole. Une conviction unanime dans les rangs verts. « Je ne suis pas accablée, nous avons déjà connu des périodes difficiles, affirme Fanny Dubot, qui s’est présentée dans la 3e circonscription de Lyon aux législatives. En l’absence de compromis à gérer avec des partenaires gouvernementaux, c’est une occasion à saisir de revenir à nos racines. »

Alors on lâche les grands mots : refondation, tout remettre à plat, renouveler le projet, dissoudre le parti et renaître, changer de nom, s’ouvrir à la société civile, agir plutôt que se fourvoyer en tactiques politiciennes à géométrie variable… Mais plus précisément ? « Si je savais… », souffle l’eurodéputé Pascal Durand à l’unisson d’autre cadres. Certes, à Dunkerque, un « forum permanent » s’offre pour échanger à la mode « Nuit debout », mais il ne déplace pas les foules. Les Jeunes Écologistes, dans l’orbite d’EELV, préparent une campagne contre la loi travail, mais, faute de se sentir en mesure de mobiliser sur l’agenda politique national, les journées d’été préfèrent se projeter dans un avenir peu daté : quel travail demain, quelle écologie politique en 2030, comment gouverner la décroissance… « Le temps long a toujours été un horizon pour les écolos, il nous faut parler beaucoup plus des problématiques nouvelles qui dessinent l’avenir de la planète – risque d’effondrement, géopolitique du climat, démocratie, etc. », argumente Alain Coulombel, du bureau exécutif du parti.

Chargée de gérer cette fin de cycle, la direction n’a pas la partie facile. « L’enjeu est aujourd’hui de faire concrètement de l’écologie – et plus seulement d’en parler –, de modifier cet outil qu’est le parti et de s’adresser à un public peu réceptif à nos idées », déroule prudemment David Cormand, secrétaire national, estimant prématuré de proposer une feuille de route. « Je me trouve devant une injonction contradictoire, entre des appels à rebondir vite et des préférences pour une démarche plus posée, visant par exemple des Assises de l’écologie pour 2018. »

Hésitations ou sang-froid ? Dans les couloirs du Kursaal, les langues se délient. « Immobilisme », tranchent Sergio Coronado et Francine Bavay, qui ont soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon. « C’est une grande déception, on est à côté de la plaque », lance Anne, qui préfère garder sa colère anonyme. « Où est notre offre politique ? », interroge Béchir Bouderbala, jeune sympathisant. L’eurodéputée Michèle Rivasi attendait de ces journées d’été qu’on s’attelle plus franchement au chantier de la reconstruction. « Ce n’est pas à la hauteur ! Pour justifier la survie d’un mouvement de l’écologie politique, il faut affirmer plus de radicalité, clame-t-elle. Aujourd’hui, le moindre maire, même de droite, s’engage dans la transition énergétique. »

La volonté de réforme de la direction et même sa légitimité sont interrogées. « On met la poussière sous le tapis !, déplore l’euro-députée Karima Delli. Il n’est nulle part question de bilan après le quinquennat catastrophique que viennent de vivre les écolos. » En instance de divorce, une frange de la gauche du parti, autour d’Élise Löwy, réclame sans y croire un congrès extraordinaire à brève échéance, et travaille au lancement d’un mouvement d’écologie politique « indépendant et ouvert sur la société ».

« Un congrès, pour s’empailler à nouveau pendant des mois sur les désignations ? Ce n’est pas de cela que nous avons besoin ! », réagit David Cormand. Le débat devrait être tranché le 9 septembre, lors d’un prochain conseil fédéral qui promet d’être animé. Un point consensuel, cependant, au sein d’EELV : un rapprochement rapide avec le Mouvement du 1er Juillet de Benoît Hamon n’est pas à l’ordre du jour. Yannick Jadot, soupçonné d’avoir voulu prolonger la carte de cette alliance, veut clarifier sa position : « J’ai eu le sentiment qu’il préparait la présidentielle de 2022. Très peu pour moi. Nous devons avant tout nous consolider avant de lancer un nième appel au rassemblement. »

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