Justice : supprimer les menus de substitution constitue une discrimination
Le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de la mairie de Chalon-sur-Saône qui avait supprimé les menus de substitution. Nicolas Gardères, qui a défendu l’association à l’origine du recours, analyse ce jugement.
Deux ans après la polémique, la justice a finalement annulé la décision de Gilles Platret, maire Les Républicains de Chalon-sur-Saône (71). En septembre 2015, le conseil municipal avait voté la suppression des menus de substitution dans les cantines, ce deuxième choix proposé aux élèves lorsque le repas contient du porc. Le tribunal a estimé que « cette décision n’avait pas accordé, au sens de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, une attention primordiale à l’intérêt des enfants ».
Le maire a d’ores et déjà annoncé que la commune ferait appel et qu’il déposerait un référé afin de suspendre la décision de la juridiction de première instance. À l’opposé, la Ligue de défense judiciaire des musulmans (LDJM), à l’origine du recours, s’est félicitée de cette décision. Tout comme son avocat, Nicolas Gardères.
Le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de la mairie de ne plus proposer de menus de substitution dans les cantines scolaires en évoquant « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Comment analysez-vous ce jugement ?
Nicolas Gardères : La décision du tribunal se fonde sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », c’est un fondement intéressant car il est universel : il découle de la convention de New York, que la France a ratifiée. Si le tribunal n’a, en apparence, pas tranché sur les questions de laïcité ou même d’organisation du service, il explique, en filigrane, qu’à partir du moment où il n’y a pas de contrainte insurmontable sur le plan technique ou financier à servir des menus de substitution, ceux-ci sont dus aux enfants.
Le juge, à travers ses paroles et un communiqué de presse, a cherché à minimiser l’impact de cette décision en insistant sur les circonstances locales, mais il la fonde sur une notion universelle. La situation des enfants musulmans chalonais ne me semble pas différente de celle des enfants d’autres villes de France. Il n’y a pas vraiment de circonstances locales à Chalon-sur-Saône puisque ce menu de substitution existe dans la majorité des cantines françaises depuis des décennies, depuis 1984 ou 1985 dans la ville. C’est un peu une contradiction dans l’esprit du jugement : chercher à limiter au maximum sa portée tout en le fondant sur quelque chose d’universel.
Votre argument et celui de la LDJM sur le caractère discriminatoire de cette mesure n’a donc pas été retenu ?
Le caractère discriminatoire n’est pas posé de manière explicite dans la décision, mais, implicitement, il est présent. À partir du moment où l’on fonde la décision sur l’intérêt supérieur de l’enfant, on cherche à les protéger de cette discrimination : la décision renvoie à des problématiques de liberté de culte et pas seulement à des problèmes diététiques ou d’équilibre nutritionnel. À l’audience, la partie adverse a évoqué l’argument que la mesure n’avait qu’un très faible impact sur la santé des enfants. Le juge a rappelé que l’intérêt supérieur de l’enfant devait être entendu dans un sens plus large que la santé et la sécurité physique, il s’étendait à des conséquences psychologiques dont celle de subir une discrimination. De fait, la décision consacre le caractère discriminatoire de cette mesure.
En juin, un maire LR de Chevigny-Saint-Sauveur (Côte-d’Or), a annoncé la suppression des repas de substitution à la rentrée 2017. Il a affirmé appliquer la recommandation de l’Association des maires de France (AMF). On a l’impression que cette polémique est devenue le cheval de bataille de certains élus Les Républicains.
En 2015, l’AMF a publié un guide de « bonne conduite laïque » à destination des élus locaux. Cette recommandation nous a été opposée dans le cadre du procès. Mais ce guide fait mention des menus confessionnels, c’est-à-dire halal ou casher. Or les repas de substitution ne sont pas confessionnels puisqu’ils ne répondent pas en tant que tel à une prescription religieuse. Il s’agit simplement de poulet ou de steak et ils pourraient très bien être distribués à tous les enfants un autre jour. Par ailleurs, on peut se questionner sur la valeur de cette recommandation car le coprésident du groupe laïcité de l’AMF est Gilles Platret, le maire de Chalon-sur-Saône. Au sein des Républicains, cette question est surtout discutée par une frange de sarkozystes qui voulait tester un truc et se faire bien voir. L’ancien Président a beaucoup participé à la médiatisation de ce sujet. On se rappelle notamment de sa fameuse punchline « Double ration de frites, c’est ça la République ». En revanche, les élus Front national sont plus en retrait sur cette question, peut-être pour éviter de faire des vagues.
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