Le monde depuis l’Afrique

Une réflexion collective passionnante sur l’actualité de la pensée critique sur le continent africain.

Pauline Guedj  • 30 août 2017 abonné·es
Le monde depuis l’Afrique
© PHOTO : Pascal Deloche/Godong/Photononstop/AFP

En 2000, paraissait Afrocentrismes. L’Histoire des Africains entre Égypte et Amériques [1], un ouvrage polémique qui faisait écho à des débats divisant les recherches africanistes francophones et anglophones. En ligne de mire, la revendication, chez ceux que l’on appelait alors les « afrocentristes » – Molefi Asante ou John Henrik Clarke, dans la lignée de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop –, d’une africanisation des savoirs.

Pour les afrocentristes, l’histoire de l’humanité a été contée depuis la perspective des Européens. Les Africains en seraient les objets passifs, et ce récit biaisé aurait doublé leur exploitation économique d’un asservissement moral. En conséquence, les historiens africains auraient aujourd’hui la mission d’élaborer un récit alternatif « afrocentré », réaffirmant le rôle de l’Afrique et redonnant à ses habitants leur conscience d’acteurs.

Les auteurs de cet essai voyaient dans l’afrocentrisme un danger faisant courir à la vocation universelle des sciences le risque du relativisme culturel et des essentialismes.

Vingt ans plus tard, Écrire l’Afrique-Monde, ouvrage collectif dirigé par l’historien sud-africain Achille Mbembe et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, nous permet de comprendre en quoi la pensée critique sur l’Afrique s’est, depuis, déplacée, enrichie et complexifiée. Véritable pavé dans la mare à l’époque, les réflexions induites par l’afrocentricité ont permis, à terme, de dépasser le regard passéiste et parfois caricatural qu’elle prônait pour voir l’éclosion d’une vision nouvelle, plus optimiste et englobante.

Écrire l’Afrique-Monde part de plusieurs présupposés. En premier lieu, l’Afrique est considérée comme une création. Intégrée dans le monde, elle n’est pas conçue comme une entité isolée, mais dans ses interactions avec l’extérieur. Partant de là, la réflexion sur le continent pourrait permettre à la fois de penser l’Afrique et de produire une analyse du monde contemporain.

Au long du livre, certains se penchent sur l’économie (Ndongo Samba Sylla, Alain Mabanckou). Des auteurs théorisent les logiques de la décolonisation des savoirs (Nadia Yala Kisukidi, Léonora Miano). D’autres, enfin, proposent des analyses décisives qui repensent des concepts de la philosophie et des sciences humaines. En ce sens, la contribution de Souleymane Bachir Diagne est un appel habité. Réflexion sur le concept d’universalisme si cher aux africanistes français, il propose de remplacer la compréhension classique du terme – une universalité de surplomb – par une acception plurielle – « universalité latérale ». Cet « universel vraiment universel » est celui de la rencontre, de la traduction, et un enjeu pour chacun d’entre nous.

[1] Sous la direction de Jean-Pierre Chrétien, François-Xavier Fauvelle-Aymar et Claude-Hélène Perrot, Karthala, 408 p., 29 euros.

Écrire l’Afrique-Monde, sous la direction d’Achille Mbembe et de Felwine Sarr, Philippe Rey/Jimaan, 384 p., 20 euros.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi