Le monde depuis l’Afrique
Une réflexion collective passionnante sur l’actualité de la pensée critique sur le continent africain.
dans l’hebdo N° 1467 Acheter ce numéro
En 2000, paraissait Afrocentrismes. L’Histoire des Africains entre Égypte et Amériques [1], un ouvrage polémique qui faisait écho à des débats divisant les recherches africanistes francophones et anglophones. En ligne de mire, la revendication, chez ceux que l’on appelait alors les « afrocentristes » – Molefi Asante ou John Henrik Clarke, dans la lignée de l’historien sénégalais Cheikh Anta Diop –, d’une africanisation des savoirs.
Pour les afrocentristes, l’histoire de l’humanité a été contée depuis la perspective des Européens. Les Africains en seraient les objets passifs, et ce récit biaisé aurait doublé leur exploitation économique d’un asservissement moral. En conséquence, les historiens africains auraient aujourd’hui la mission d’élaborer un récit alternatif « afrocentré », réaffirmant le rôle de l’Afrique et redonnant à ses habitants leur conscience d’acteurs.
Les auteurs de cet essai voyaient dans l’afrocentrisme un danger faisant courir à la vocation universelle des sciences le risque du relativisme culturel et des essentialismes.
Vingt ans plus tard, Écrire l’Afrique-Monde, ouvrage collectif dirigé par l’historien sud-africain Achille Mbembe et l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, nous permet de comprendre en quoi la pensée critique sur l’Afrique s’est, depuis, déplacée, enrichie et complexifiée. Véritable pavé dans la mare à l’époque, les réflexions induites par l’afrocentricité ont permis, à terme, de dépasser le regard passéiste et parfois caricatural qu’elle prônait pour voir l’éclosion d’une vision nouvelle, plus optimiste et englobante.
Écrire l’Afrique-Monde part de plusieurs présupposés. En premier lieu, l’Afrique est considérée comme une création. Intégrée dans le monde, elle n’est pas conçue comme une entité isolée, mais dans ses interactions avec l’extérieur. Partant de là, la réflexion sur le continent pourrait permettre à la fois de penser l’Afrique et de produire une analyse du monde contemporain.
Au long du livre, certains se penchent sur l’économie (Ndongo Samba Sylla, Alain Mabanckou). Des auteurs théorisent les logiques de la décolonisation des savoirs (Nadia Yala Kisukidi, Léonora Miano). D’autres, enfin, proposent des analyses décisives qui repensent des concepts de la philosophie et des sciences humaines. En ce sens, la contribution de Souleymane Bachir Diagne est un appel habité. Réflexion sur le concept d’universalisme si cher aux africanistes français, il propose de remplacer la compréhension classique du terme – une universalité de surplomb – par une acception plurielle – « universalité latérale ». Cet « universel vraiment universel » est celui de la rencontre, de la traduction, et un enjeu pour chacun d’entre nous.
[1] Sous la direction de Jean-Pierre Chrétien, François-Xavier Fauvelle-Aymar et Claude-Hélène Perrot, Karthala, 408 p., 29 euros.
Écrire l’Afrique-Monde, sous la direction d’Achille Mbembe et de Felwine Sarr, Philippe Rey/Jimaan, 384 p., 20 euros.