5 exemples de ce que le Ceta va permettre
Que permettra vraiment le Ceta ? Voici cinq possibilités ouvertes de ce que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, qui entre provisoirement en application ce 21 septembre.
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Alors que l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada entre provisoirement en application ce 21 septembre, voici cinq exemples (à peine) imaginaires de ce qu’il est susceptible de permettre.
Les droits de douane
Depuis que le Ceta a supprimé les droits de douane sur les denrées alimentaires, les produits issus des fermes-usines canadiennes ont inondé le marché européen. En réaction, un syndicat agricole finance une enquête vétérinaire indépendante sur 2 000 produits importés du Canada. Surprise : dans les cales de porte-conteneurs, la mission déniche des saumons génétiquement modifiés, du porc à la ractopamine (adjuvant de croissance qui fait gonfler la masse musculaire) et des poulets aux hormones, pourtant interdits en France.
Explication : « L’harmonisation » des règles de traçabilité, dans le cadre d’un « comité de coopération douanière » instauré par le Ceta, et la faiblesse des moyens de contrôle laissent craindre l’arrivée sur le marché européen de denrées produites avec des techniques interdites en Europe. Une variété de saumon transgénique est déjà commercialisée au Canada. Le poisson atteint sa taille adulte deux fois plus vite qu’un saumon normal, avec 75 % de nourriture en moins. Or, son origine OGM n’est pas spécifiée sur l’emballage. Les douanes européennes devront donc mener des tests génétiques sur chaque saumon, moyennant 5 à 15 euros l’unité, pour s’assurer qu’il n’entre pas d’animal transgénique sur le marché européen.
La coopération réglementaire
Emmanuel Macron décide d’appliquer sa promesse de campagne de « placer la France à la tête du combat contre les perturbateurs endocriniens » et se rend à la Commission européenne avec l’ambition d’interdire ces substances nocives, en choisissant une définition étendue. Comme le prévoit le Ceta, il en réfère d’abord à l’organisme de coopération réglementaire, où siègent les lobbys industriels. Ces derniers déploient un intense travail d’argumentation et font peser la menace de poursuites devant un tribunal arbitral dans le cas où une loi restrictive serait votée.
Explication : Le Ceta instaure des mécanismes de coopération réglementaire où siègent les « membres intéressés », c’est-à-dire les représentants de multinationales, qui peuvent être saisis avant toute nouvelle loi. Et ce pour « faire en sorte que les mesures sanitaires des parties ne créent pas d’obstacles injustifiés au commerce », selon les termes du traité (articles 3 à 6).
Cela pourrait compliquer l’évolution, déjà difficile, de la réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens. Idem pour les pesticides, comme le glyphosate, dont la Commission européenne doit renouveler la licence pour dix ans en octobre. La France a annoncé son souhait de voter contre cette reconduction, mais la coopération réglementaire offre à Monsanto, qui commercialise le pesticide, un nouvel organe de lobbying. Elle pourrait servir également à « harmoniser des limites maximales de résidus de pesticides autorisés dans les produits agricoles et alimentaires, entraînant une harmonisation vers le bas », s’inquiètent les experts nommés en juillet par le gouvernement français, qui ont rendu le 7 septembre un rapport très critique sur les conséquences du Ceta sur l’environnement.
Plus généralement, le traité ne fait pas la moindre référence au principe de précaution, qui ne prévaut pas au Canada, mais affirme que les règles du commerce doivent être « basées sur la science ». Selon les experts du gouvernement, « les imprécisions du Ceta » sur la coopération réglementaire pourraient aboutir à « une réglementation ne prenant pas en compte le principe de précaution ».
Les OGM constituent l’autre zone d’ombre importante du traité. Le Ceta stipule que l’UE et le Canada « coopèrent sur la biotechnologie, comme la présence d’OGM en faibles concentrations ».
Les tribunaux arbitraux
Face à une forte mobilisation citoyenne, le gouvernement régional de Galice décide d’interrompre un projet de mine d’or à ciel ouvert. L’entreprise canadienne qui avait obtenu un permis d’exploitation quelques années plus tôt poursuit l’Espagne devant un tribunal d’experts canadiens et européens, et empoche une compensation financière.
Explication : Le Ceta instaure un tribunal arbitral composé d’experts, comme il est d’usage dans les accords commerciaux de plus petite taille. Il permet aux multinationales, et seulement à celles-ci, de poursuivre un État, au nom de la libéralisation des investissements, lorsque leurs « attentes légitimes » sont compromises par une loi nouvelle. Il revient au gouvernement de prouver que ce n’est pas le cas. La simple menace de poursuites suffit souvent à dissuader le gouvernement de légiférer, ou à l’inciter à régler le contentieux à l’amiable par des compensations.
« Rien ne permet de garantir que les futures dispositions environnementales nécessaires à la poursuite des objectifs de la France en matière de transition énergétique et de développement durable ne seront pas attaquées devant cette juridiction », alertent ainsi dans leur rapport les experts nommés par le gouvernement.
La concurrence « libre et non faussée »
La gestion des cantines des établissements scolaires d’une petite ville française vient d’être déléguée à une association regroupant des agriculteurs bio, une entreprise d’insertion subventionnée par le conseil départemental et un réseau citoyen de soutien à l’agriculture paysanne. Une multinationale française attaque la commune et obtient finalement l’annulation du marché public.
Explication : Le Ceta interdit toute mesure « discriminatoire » dans l’attribution des marchés publics, privilégiant par exemple une entreprise du quartier, un approvisionnement local, ou des embauches de jeunes du coin. Autant de « comportements anticoncurrentiels », « susceptibles de fausser le bon fonctionnement des marchés », selon les termes du traité. Les subventions aux entreprises pour appuyer les circuits courts, par exemple, sont interdites si elles créent « une distorsion sur le commerce » (article 7), hormis pour les activités culturelles, au nom de « l’exception culturelle ».
Le pétrole des sables bitumineux
Grâce au Ceta, une entreprise française d’hydrocarbures investit dans les sables bitumineux de l’Alberta, qui recèleraient la troisième réserve de pétrole au monde.
Explication : L’une des principales motivations canadiennes pour signer le Ceta était de favoriser les investissements européens dans son industrie pétrolière. Or, le pétrole issu des sables bitumineux émet une fois et demie plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel. L’expertise commandée par le gouvernement français pointe en particulier le fait qu’« il n’est pas fait mention d’engagements à diminuer les subventions dommageables à l’environnement, en particulier [celles destinées] aux énergies fossiles et à la pêche ».