À qui profite la crise au FN ?

Le départ forcé de Florian Philippot préfigure un repli du parti, dont Laurent Wauquiez et la France insoumise espèrent profiter.

Michel Soudais  • 27 septembre 2017 abonné·es
À qui profite la crise au FN ?
© photo : JOEL SAGET/AFP

Même pas mal. Marine Le Pen et les dirigeants du Front national se sont relayés deux jours durant pour minimiser l’impact du départ de Florian Philippot. Avec les mêmes mots, ils ont dit sur toutes les antennes qu’ils regrettaient son départ, dit et redit qu’ils en avaient vu d’autres et que leur parti s’en remettra sans difficulté… Au troisième jour, la cheffe assurait que cette rupture était « déjà du passé », voire « un non-événement politique » puisqu’elle n’a entraîné qu’un nombre « dérisoire » de départs. Un peu plus d’une cinquantaine recensés lundi. Parmi eux, 26 conseillers régionaux – le FN en a fait élire 358 en décembre 2015 – pour l’essentiel élus dans la région Grand-Est avec Florian Philippot (11 des 46 élus frontistes), en Bourgogne-Franche-Comté (7 élus sur 24) et dans les Hauts-de-France (6 élus sur 54). Rien de comparable avec l’hémorragie provoquée par la scission mégretiste fin 1998.

Comme si de rien n’était, Marine Le Pen a entamé samedi une tournée de « refondation » en promettant à ses militants que, d’ici au congrès prévu le 11 mars à Lille, ils pourraient « discuter de tout », du nom du parti aux statuts, en passant par le projet et les « alliances », certains plaidant pour une ouverture plus large à droite. Des militants à qui elle demande, pour la énième fois, de passer d’un FN à la culture protestataire à une « alternative » prête à « gouverner ». Auparavant, elle avait rappelé devant les journalistes que le FN a « une ligne […] unique », la sienne. Et que le départ de son numéro deux ne l’en ferait pas bouger.

Le départ de Florian Philippot, stakhanoviste des matinales et figure symbolique de la dédiabolisation du FN, serait donc sans conséquence ? Ce n’est pas l’avis de Pascal Perrineau, pour qui « sans Philippot, le FN va au-devant de difficultés ». Interrogé dans l’Opinion, l’ancien directeur du Cevipof estime que c’est à sa « ligne sociale-souverainiste » que le FN doit la « vraie dynamique » et l’« expansion » qu’il a connues ces dernières années. Ce départ rappelle combien le parti lepéniste « n’accepte pas son propre pluralisme ». Il ne va pas non plus arranger son image, qui s’est dégradée depuis le second tour de la présidentielle, y compris auprès de ses électeurs. Il souligne surtout l’affaiblissement de Marine Le Pen.

La « ligne Philippot », contre laquelle se sont ligués nombre de dirigeants et de cadres frontistes, qui lui attribuent la contre-performance de leur candidate à la présidentielle et l’échec de leur parti aux législatives, était celle que défendait Marine Le Pen bien avant que cet énarque n’adhère au parti d’extrême droite, en octobre 2011, pour former avec elle un couple politique sans nuages jusqu’au 7 mai. Elle-même s’est longtemps vantée de partager avec Florian Philippot « une identité de pensée rare en politique ». Qu’elle ait été contrainte de le sacrifier tel un fusible pour se maintenir à la tête du FN trahit l’affaiblissement de son autorité. Et le poids désormais prédominant des tenants d’une ligne « nationale-identitaire » collant aux aspirations des petits patrons, artisans et commerçants. Ceux-ci estimant, à l’instar de Nicolas Bay, secrétaire général du parti, que la concurrence de la France insoumise sur les thèmes économiques et sociaux rend le FN inaudible, ils lorgnent clairement vers l’électorat de droite et les 7 millions de voix de François Fillon jugées en déshérence. Terrain sur lequel ils vont se heurter à l’offensive de Laurent Wauquiez. Le favori dans la course à la présidence des Républicains ne cache pas son intention d’« aller chercher [les] voix [de droite] qui sont parties au FN » avec une ligne très ferme sur les questions d’identité et d’immigration. Ce qui poussera inévitablement le FN à surenchérir.

La rétractation du FN sur son cœur de cible, avec un PS en coma prolongé et une droite mal en point, a tout d’un alignement des planètes pour la France insoumise, qui se pose en première force d’opposition à Emmanuel Macron. « La discorde, chez l’ennemi, c’est toujours une bonne nouvelle ! », note Alexis Corbière. Plus fondamentalement, le lieutenant de Jean-Luc Mélenchon estime que le départ de Florian Philippot, qui a, selon lui, « été le marchepied du FN pour prendre le pouvoir », « empêchera l’extrême droite de faire semblant d’être intéressée par le social. Philippot s’en va, le FN va arrêter le baratin et revenir à ses fondamentaux, c’est-à-dire un clan familial ».

Selon lui, la stratégie de la France insoumise n’est pas pour rien dans la crise qui secoue le parti d’extrême droite : « Ce à quoi ils se sont heurtés, c’est à notre existence. Sans faire de triomphalisme, il faut bien voir qu’à part nous, il n’y avait personne pour les concurrencer. Aujourd’hui, la chance sourit aux audacieux ! » L’analyse est corroborée par Pascal Perrineau, qui assure que « la dynamique électorale de Jean-Luc Mélenchon a coûté cher à Marine Le Pen. Sans lui, elle aurait été roue-dans-roue, et peut-être même devant Emmanuel Macron ». Elle est partagée également par Florian Philippot : « Les voix qui ont manqué à Marine au premier tour ne sont pas parties chez Fillon mais plutôt chez Mélenchon », estime-t-il.

Et le député de Marseille entend continuer à les attirer. Convaincu que « le durcissement néolibéral » incarné par Emmanuel Macron « n’a qu’un résultat pour l’instant dans toute l’Europe au-delà du Rhin : les percées de l’extrême droite », il juge dans une récente note de blog que seules le Labour de Jeremy Corbyn, Podemos en Espagne et la France insoumise sont « capable[s] d’enrayer ce processus et de prendre en compte le “dégagisme” qui s’exprime partout ».

L’enjeu se concentre sur l’électorat jeune, parmi lequel Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête le 23 avril, les peu diplômés et les classes populaires qui ont voté FN pour son discours souverainiste et apparemment « social ». Combien pourraient basculer ? « C’est une possibilité qu’on a du mal à évaluer », reconnaît Alexis Corbière. Clémentine Autain juge elle aussi « évident que parmi l’électorat du vote populaire, il y a un potentiel à aller chercher, notamment ces gens dont les parents étaient des ouvriers communistes ou votaient à gauche et qui se sont réfugiés un moment dans le vote FN ». Elle n’attend pas pour autant de « bascule immédiate entre le vote FN et le vote à gauche, car en général, ça passe par le sas de l’abstention ».

Mais à quel prix récupérer cet électorat ? Alexis Corbière se veut rassurant : « On sera évidemment toujours sans concession sur la question de la xénophobie », affirme-t-il, persuadé qu’« on ne luttera contre l’extrême droite qu’en faisant voter pour nous des gens qui votaient pour le FN ». Quelles pourraient donc être les passerelles entre le vote d’extrême droite et le vote Mélenchon ? Pas le souverainisme, assure Clémentine Autain, mais « la colère de ceux qui ne veulent plus du système en place ». Ou, pour reprendre les mots de Mélenchon, « les fâchés, pas les fachos ».

De quoi, selon la députée de Sevran, valider « le positionnement fécond » de Jean-Luc Mélenchon, qui refuse depuis son départ en campagne pour la présidentielle de 2017 d’utiliser le signifiant « de gauche » pour qualifier sa politique et son électorat. « On est à un moment charnière où on peut vraiment progresser, martèle la députée. Avec un FN affaibli, nous avons des possibilités immenses, il ne faut pas manquer cette fenêtre de tir, il faut que tout le monde travaille ensemble. Et pour cela aussi, je dis qu’il faut que la France insoumise se mette dans un état d’esprit qui permette de fédérer. »

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