Adel Hakim, tragédien d’Orient
Ce grand homme de théâtre avait mis la cruauté contemporaine au centre de son œuvre.
dans l’hebdo N° 1468 Acheter ce numéro
La mort d’Adel Hakim, codirecteur avec Élisabeth Chailloux du Centre dramatique national du Val-de-Marne (La Manufacture des Œillets, à Ivry), nous touche dans une double résonance. C’est la perte d’un grand homme de théâtre et la disparition d’un homme qui, victime d’une maladie dégénérative – une sclérose latérale amyotrophique –, n’a pu avoir droit à la procédure de suicide assisté qu’il avait souhaitée, en raison de la législation française, qui l’interdit. Son dernier écrit réclame ce droit pour ceux qui sont victimes d’une souffrance incurable.
Adel Hakim meurt à 64 ans, après avoir fait preuve d’un immense courage souriant. Né en Égypte, formé au théâtre du Soleil, il a été un directeur de théâtre très actif, un metteur en scène omniprésent et un auteur sporadique. Pourtant, ses quelques pièces ont été à chaque fois des coups d’éclat. Exécuteur 14, créé par Jean-Quentin Chatelain, fait entrer le spectateur dans « le mental d’un guerrier », dont le modèle pourrait être un baroudeur de la guerre du Liban. Corps reprend le thème de Macbeth et transforme la forêt en personnalisation du destin. Récemment – c’était au mois de janvier – Des roses et du jasmin contait, à travers une longue fresque, les relations des Israéliens et des Palestiniens de 1945 aux années 2000, et montrait l’écrasement à la fois insidieux et militaire de tout un peuple. La pièce était jouée en arabe surtitré par le Théâtre national palestinien, venu de Jérusalem, et avec qui Hakim avait déjà monté une version modernisée d’Antigone de Sophocle. Rien de simplificateur dans cette chronique illuminée par un amour profond de l’humanité.
La hantise d’Adel Hakim, le centre de son œuvre, c’est la tragédie de notre monde qui répète ou réinvente, avec une cruauté contemporaine, les luttes folles de la tragédie grecque. L’aller-retour qu’il opère avec les mythologies est permanent, dans ses mises en scène comme dans son écriture, de telle sorte que la brutalité de ce qui est dit et le coupant des mots bondissent dans une dimension à la fois universelle et intériorisée, dans l’ascension presque joyeuse d’une langue poétique.
Sa biographie comporte aussi beaucoup de collaborations avec d’autres pays, hors de la sphère arabe dont il était issu : le Chili, l’Argentine, le Mexique… Cela ne l’empêchait pas de monter Marivaux dans un érotisme réjouissant et éloigné des clichés du libertinage. Cet Oriental européen tentait d’embrasser la Terre entière.
Exécuteur 14 et Des roses et du jasmin, d’Adel Hakim, sont publiés par L’Avant-Scène Théâtre. Des roses et du jasmin sera repris à Ivry en mars 2018.