Barbara, multiples représentations

Mathieu Amalric se livre à une évocation sensible et impressionniste de la chanteuse, où Jeanne Balibar est à la hauteur de son modèle.

Christophe Kantcheff  • 6 septembre 2017 abonné·es
Barbara, multiples représentations
© photo : Roger Arpajou/ 2017 Waiting For Cinéma

Amateurs de biopics traditionnels, passez votre chemin ! Ceux qui espéraient voir défiler la vie de Barbara dans le nouvel opus éponyme de Mathieu Amalric resteront sur leur faim. La chose semble de toute façon impossible. On entend dans le film ces mots dus à un écrivain ami de Barbara, Jacques Tournier (qu’un autre écrivain, Pierre Michon, interprète) : « C’est une femme qui se raconte sa vie avec tant de force qu’elle finit par y croire, et les autres autour d’elle. C’est en cela qu’il est si difficile de faire une enquête, de savoir les dates, les faits, d’obtenir des précisions. » La notion d’enquête reste toutefois valable. Mais davantage sur ce qui agite l’âme de la chanteuse, sur sa fantasmagorie. Tel est Barbara.

Pour ce faire, Mathieu Amalric a eu l’ingénieuse idée d’imaginer un cinéaste – interprété par lui-même –tournant une fiction sur la vie de Barbara jouée par une comédienne, Brigitte, interprétée par Jeanne Balibar. Le dispositif pourrait paraître compliqué quand il ouvre en réalité un grand espace de liberté. Il induit un dédoublement du regard : sur Barbara elle-même et sur la comédienne Brigitte, qui cherche à appréhender la première, à la comprendre. Et ce que filme le cinéaste, c’est le point de rencontre entre ces deux femmes. Non par simple mimétisme – même si Jeanne Balibar ressemble à son modèle, y compris dans les intonations de sa voix et quand elle chante – mais par pénétration, par imprégnation, par suturation.

D’où ce que beaucoup n’auraient pas osé : un incessant va-et-vient entre les images d’archives (interviews, répétitions…), où apparaît la vraie Barbara, et les séquences de fiction, qui souvent prolongent les premières ou les complètent. Comme par un effet de contamination, l’énergie passant des unes aux autres est la même, ce qui fait que Brigitte/Balibar devient Barbara, mais le contraire est aussi vrai : Barbara s’immisce dans la peau de la comédienne.

Dans un tel rôle, qui n’était pas sans risques, Jeanne Balibar est remarquable. Elle donne à voir une femme fantasque, grande travailleuse mais difficilement maîtrisable et un peu capricieuse, et surtout entièrement vouée à son art. Pour Barbara, la vie est une parenthèse, un jeu plus ou moins sérieux – « une femme qui se raconte sa vie » (cf. plus haut) – entre deux séances de composition, ou deux voyages en voiture sur les routes de France pour une tournée au long cours que ponctuent chaque soir un spectacle et un triomphe.

Barbara assume sa solitude bien qu’elle ne soit pas dupe de la voracité du public. Le film suggère plus qu’il ne montre ses engagements, en particulier dans la lutte contre le sida (apparaissent furtivement les noms de Didier Lestrade et de Cleews Vellay, deux présidents d’Act Up, que la sortie du film de Robin Campillo, 120 Battements par minute, a remis au premier plan). Brigitte/Balibar dialogue avec une Barbara incarnant l’icône qu’elle est devenue. Le film joue avec ces différentes représentations, n’étouffant jamais l’émotion que suscitent les chansons de Barbara ainsi déclinées. C’est l’alliance de l’intelligence et de la sensibilité.

Barbara, Mathieu Amalric, 1 h 37.

Musique
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