Birmanie : les ambiguïtés d’Aung San Suu Kyi

Alors que les musulmans rohingyas de l’État d’Arakan sont l’objet de massacres bien réels et tentent de fuir vers le Bangladesh, la « Conseillère d’État » préfère parler de « désinformation ».

Denis Sieffert  • 8 septembre 2017
Partager :
Birmanie : les ambiguïtés d’Aung San Suu Kyi
© Photo : AFP

Traqués par l’armée birmane qui se livre à une répression féroce, les musulmans rohingyas de l’État d’Arakan (région du sud-ouest de la Birmanie) fuient massivement vers le Bangladesh voisin. Selon l’Onu, ce sont quelque 270 000 Rohingyas qui ont franchi la frontière depuis le 25 août. À l’origine de cet exode, les violences commises par l’armée birmane contre cette population en proie depuis 1962, année de la prise du pouvoir de la junte à Rangoon, à une discrimination impitoyable, privée de la nationalité birmane et de tous ses droits civiques et sociaux.

En 2012 déjà, une première vague de répression avait fait plus de deux cents morts. En octobre 2016, une « Armée arakanaise du salut rohingya » (Arsa) s’est créée pour organiser la résistance. Il est vrai que les événements auxquels on assiste aujourd’hui ont formellement été déclenchés par l’attaque de plusieurs postes-frontières par l’Arsa. Le Bangladesh a en effet fermé sa frontière, estimant ne plus pouvoir accueillir davantage de réfugiés. Le pouvoir birman en a profité pour pointer la responsabilité des Rohingyas, qualifiés de « terroristes ». Or, il semble établi que l’Arsa n’a, pour l’heure, aucun lien avec des organisations jihadistes, mais tentent seulement d’obtenir le rétablissement des droits des musulmans birmans à la nationalité et à la citoyenneté.

Viols, tortures et massacres de villages

La communauté internationale a été choquée ces jours derniers par le silence, puis par les déclarations de la « Conseillère d’État » — puisque c’est son titre officiel — Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix 1991. Alors que l’on recense plus de 400 morts, que des cas de viols, de tortures, et des massacres de villages ont été signalés, Aung San Suu Kyi dénonce « un iceberg de désinformation […] qui vise à promouvoir les intérêts des terroristes ».

Il est vrai que des photos venues d’autres conflits ont circulé sur les réseaux sociaux alimentant la thèse de la désinformation. Mais il est tout aussi vrai que des massacres bien réels ont eu lieu, et que le sort réservé aux Rohingyas depuis plusieurs décennies est un défi aux droits humains. La déclaration de la prix Nobel met en évidence l’ambiguïté de sa situation. Car, si la junte a bien laissé le pouvoir aux civils depuis 2011, les militaires sont encore omniprésents au Parlement et au gouvernement. Le début de démocratisation du régime est donc le résultat d’un compromis accepté par celle qui l’a négocié après vingt ans d’une admirable résistance. Aung San Suu Kyi, fille d’un général, héros de l’indépendance, reste cependant elle-même très liée à l’armée, et pas seulement pour des raisons tactiques. Le monde découvre dans cette affaire un autre aspect de sa personnalité et de sa culture, dans cette Birmanie si fortement imprégnée de bouddhisme.

Société Monde
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles
Étude 21 novembre 2024 abonné·es

Les personnes LGBT+, premières victimes de violences sexuelles

Une enquête de l’Inserm montre que de plus en plus de personnes s’éloignent de la norme hétérosexuelle, mais que les personnes LGBT+ sont surexposées aux violences sexuelles et que la transidentité est mal acceptée socialement.
Par Thomas Lefèvre
La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !
Santé 21 novembre 2024 abonné·es

La santé, c’est (avant tout) celle des hommes !

Les stéréotypes sexistes, encore profondément ancrés dans la recherche et la pratique médicales, entraînent de mauvaises prises en charge et des retards de diagnostic. Les spécificités féminines sont trop souvent ignorées dans les essais cliniques, et les symptômes douloureux banalisés.
Par Thomas Lefèvre
La Brigade rouge : un poing c’est tout !
Portfolio 20 novembre 2024 abonné·es

La Brigade rouge : un poing c’est tout !

Pour pallier les carences et manquements de l’État indien, l’ONG la Brigade rouge s’est donné pour mission de protéger et d’accompagner les femmes qui ont été victimes de viol ou de violences sexistes et sexuelles. Reportage photo.
Par Franck Renoir
À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »
Reportage 20 novembre 2024 abonné·es

À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »

Avec les rapides avancées russes sur le front, la ville de Koupiansk, occupée en 2022, est désormais à 2,5 km du front. Les habitants ont été invités à évacuer depuis la mi-octobre. Malgré les bombardements, certains ne souhaitent pas partir, ou ne s’y résolvent pas encore.
Par Pauline Migevant