Décentralisation : un nouveau souffle ?
Colmar et Saint-Étienne fêtent les 70 ans du réseau de centres dramatiques nationaux.
dans l’hebdo N° 1471 Acheter ce numéro
La « décentralisation » théâtrale ! Le mot s’est patiné, voire usé. En 1946, Jeanne Laurent, « sous-directrice des spectacles » au ministère de l’Éducation, commence à mettre en place le réseau des centres dramatiques nationaux (CDN) pour transformer un pays où le théâtre se faisait essentiellement dans la capitale. Ce fut une belle histoire, toujours vivante. Le théâtre public en région compte aujourd’hui 38 centres, ouverts les uns après les autres et très actifs.
Le 70e anniversaire de cet événement a failli passer inaperçu, en dépit du documentaire de Daniel Cling, Une aventure théâtrale, 30 ans de décentralisation (consacré aux années 1947 à 1981), projeté cet été à Avignon. Mais le directeur de la Comédie de l’Est, à Colmar, Guy Pierre Couleau, a pris une belle initiative : il a réuni les cinq centres dramatiques de la région Grand Est, le Théâtre national de Strasbourg et le Théâtre du peuple de Bussang pour un festival avec peu de commémorations et beaucoup de créations. Tandis que la Comédie de Saint-Étienne ouvre son nouveau théâtre avec une vaste série de créations. Ainsi, au même moment, les deux premiers CDN de notre histoire (1946 pour Colmar, 1947 pour Saint-Étienne) se souviennent du passé et posent des questions pour l’avenir.
La décentralisation a certainement besoin d’un nouveau souffle. La ministre de la Culture, Françoise Nyssen, s’est pour le moment contentée d’assurer les directeurs de CDN de son soutien, après le Festival d’Avignon. Guy Pierre Couleau souligne combien le travail auprès du public est essentiel. Sa structure publie d’ailleurs un livre, En route vers les publics, qui résulte d’une étude effectuée sur sept ans. Et elle pratique le « billet solidaire », offert à ceux qui ne peuvent se payer le théâtre et financé par les abonnements, déjà bon marché.
« Nos centres du Grand Est ont 5 millions d’habitants en face d’eux, dit Guy Pierre Couleau. Il est possible de créer un nouveau public. La société est de plus en plus fracturée : on doit pouvoir vaincre certaines de ces fractures. À l’idéal du passé, il faut ajouter la dimension européenne, par laquelle nous devons lutter contre le repli sur soi et le populisme. Mettre en scène des modernes et des classiques, c’est à chaque fois montrer comment va le monde. »
À la Comédie de Saint-Étienne, l’équipe s’installe dans un nouveau théâtre du quartier Plaine-Achille : 50 % de surface supplémentaire et une double capacité de création, avec ses deux salles de représentation et sa salle de répétition. Même du temps du fondateur légendaire, Jean Dasté, et sous les directions de Daniel Benoin puis de Jean-Claude Berutti et François Rancillac, l’équipement n’a jamais été à la hauteur. Et, depuis Benoin, il y a une école d’art dramatique, qui va également trouver une nouvelle respiration.
Arnaud Meunier, directeur de l’établissement et metteur en scène, est partisan, lui aussi, d’un nouvel élan très politique. Il dit, en riant, qu’il est cerné par les jeunes, puisque cent artistes des nouvelles générations sont là pour les quarante créations prévues : « Nous participons à un programme d’égalité des chances, pour le public comme pour les jeunes qui veulent faire du théâtre. Ce qui a changé, par rapport aux années héroïques, c’est le partage de l’outil. Le directeur ne fait plus tout lui-même. Nous dégageons plus de recettes propres et nous accueillons les compagnies. Notre programme, c’est 8 % des spectacles montés par nous-mêmes et 92 % par d’autres équipes. Ce festival d’ouverture, qui coïncide avec l’anniversaire de la Comédie et celui de la décentralisation, en est un exemple. Par ailleurs, nous arriverons l’an prochain à la parité et à l’égalité des salaires hommes-femmes, dont l’écart, jusqu’alors, était de 30 %. » Ça bouge, au moins, à Saint-Étienne et à Colmar.
Les 70 ans de la décentralisation théâtrale, Comédie de l’Est, Colmar, 03 89 24 31 78, du 28 au 30 septembre.
Ouverture de la nouvelle Comédie de Saint-Étienne, 04 77 25 14 14. Trois semaines de création, jusqu’au 7 octobre.