En Italie, l’égalité d’abord

Face à une gauche éclatée, des militants et des intellectuels réfléchissent à un populisme démocratique et progressiste, à rebours du sulfureux Mouvement cinq étoiles.

Olivier Doubre  • 13 septembre 2017 abonné·es
En Italie, l’égalité d’abord
© photo : Mauro Ujetto/NurPhoto/AFP

On peut dire à bon droit qu’après cinq ans au pouvoir le duo François Hollande/Manuel Valls a profondément abîmé la gauche non communiste ou sociale-démocrate. Mais que dire des dégâts provoqués par le social-libéral Matteo Renzi en Italie ?

Héritier du puissant PCI, le pâle Parti démocrate (PD), dont le nom signale le tropisme états-unien de ses fondateurs, était voué dès sa création à réaliser l’unité d’une grande partie de la gauche transalpine, depuis l’aile progressiste de l’ancienne Démocratie chrétienne jusqu’aux anciens communistes prêts à abandonner leur nom et la référence directe au marxisme. Après une longue dérive vers le centre, sa prise de contrôle par le catholique autoritaire Matteo Renzi, bientôt suivie par l’arrivée de ce dernier à la présidence du Conseil, finit d’achever la dissolution idéologique d’un parti dont la seule raison d’être n’était plus que son maintien au pouvoir.

Le désaveu populaire du gouvernement Renzi – une coalition contre-nature avec d’anciens berlusconiens supposés « modérés » – fut cinglant en décembre 2016, lorsque les Italiens rejetèrent par référendum le projet de réforme de leur Constitution visant à supprimer le Sénat mais aussi à réformer le droit du travail. Depuis lors, la gauche italienne n’a cessé de se diviser, pour ne pas dire se désagréger, en de multiples formations. On compte ainsi aujourd’hui à la gauche du Parti démocrate pas moins de sept partis, formations ou mouvements, certains issus de scissions du PD.

Face à cette situation, nombreux sont les militants qui observent avec envie les expériences réussies à l’étranger, tout d’abord du côté de Syriza (sa liste aux élections européennes, « L’autre Europe pour Tsipras », a remporté trois eurodéputés en 2014), puis de Podemos, aujourd’hui de la France insoumise.

Jeune mouvement constitué cette année, Senso Comune (rien à voir avec l’exécrable Sens commun hexagonal !) est composé de quelques centaines de militants de diverses tendances, du mouvement des centri sociali autogestiti (squats autogérés) aux petites organisations d’une extrême gauche plus classique. Il compte aussi nombre de jeunes universitaires, souvent de facultés étrangères, anglo-saxonnes en premier lieu. Ainsi, deux des principaux fondateurs émargent au King’s College de Londres (Paulo Gerbaudo) ou au Centre de recherches de philosophie politique de l’université de l’Essex, fondé par Ernesto Laclau il y a plusieurs décennies (Samuele Mazzolini).

« Je travaille avec les héritiers, ou plutôt les disciples de Laclau », admet dans un sourire Mazzolini, proche aujourd’hui de Chantal Mouffe, philosophe belge veuve de Laclau et principale théoricienne d’un « populisme démocratique reposant d’abord sur la promotion de l’idée d’égalité », selon les mots du chercheur transalpin. Car c’est bien la volonté d’une telle construction qui anime ce tout jeune mouvement, dont la première université d’été s’est tenue du 8 au 10 septembre près de Pérouse, en Ombrie.

Politistes français ou élus espagnols de Podemos étaient invités à débattre de l’idée de populisme avec les militants italiens, afin de consolider les bases idéologiques d’un terme complexe à appréhender. En particulier dans un pays où une part de l’espace politique potentiel est déjà occupée par le Mouvement cinq étoiles (M5S) du « comique » – de moins en moins drôle – Beppe Grillo, qui a séduit tant d’abstentionnistes et de déçus des partis traditionnels, notamment à gauche, grâce à un discours écolo et anti-corruption. Or, aujourd’hui, le M5S concentre son discours contre les migrants et apparaît de plus en plus pour ce qu’il est : un mouvement populiste clairement de droite. D’où la volonté de Senso Comune de promouvoir un populisme –« progressiste ».

Samuele Mazzolini souligne qu’il « ne s’agit pas d’importer un modèle de l’étranger, mais de construire un mouvement populiste reposant sur les revendications populaires et sur la base d’une “primauté du politique”, comme dirait Laclau. Notre populisme ne dénonce pas seulement la caste politique, mais aussi les grandes entreprises et les oligarchies. Notre populisme refuse d’avoir comme seul objectif l’unité de la gauche, formule qui en Italie est devenue synonyme d’autoritarisme, et doit promouvoir des thèmes comme la sauvegarde des services publics, la protection des salariés et la mise en œuvre d’une politique de relance. »

Reste à savoir si une telle ambition est possible – et si Senso Comune peut être le point de départ d’une telle mue –, face à un M5S qui domine tous les sondages.

À lire dans ce dossier :

Le populisme : Projet politique ou tactique électorale ?

Philippe Corcuff : « La recette de la France insoumise est usée »

Pablo Iglesias : la caresse et la claque

Monde
Publié dans le dossier
Le populisme peut-il sauver la gauche ?
Temps de lecture : 4 minutes

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