Front social : rassembler pour enfin régner
Syndicalistes ou membres d’associations, les initiateurs de cet « ovni » veulent mobiliser au-delà des étiquettes et des appareils.
dans l’hebdo N° 1470 Acheter ce numéro
S’unir pour ne plus subir. Bloquer pour tout gagner. » C’est derrière ce mot d’ordre aux accents révolutionnaires que le cortège du Front social a défilé le 12 septembre. Cet ovni de la mobilisation, né du mouvement contre la loi El Khomri, symbolise un idéal maintes fois revendiqué : la convergence des luttes. Dans le cortège, la multiplicité des revendications est visible par la variété des pancartes et bannières : le manque de moyens dans l’éducation, les conditions de travail des livreurs Deliveroo ou encore les salaires des travailleurs sociaux. « Un succès », se félicite Romain Altmann, membre de la CGT-Info’com, une des figures du collectif.
Le lendemain de la manifestation, le Front social a tenu un meeting dans une salle de la Bourse du travail, à Paris. Coordination, collectif, intersyndicale ? Il est encore difficile de qualifier ce regroupement des forces de contestation, mais son objectif est clair : rassembler au-delà des étiquettes et, surtout, des directions syndicales.
« Le Front social, c’est un collectif, un réseau d’organisations, d’individus, de syndicats… Un véritable front de lutte », explique Gaël Quirante, de SUD-PTT 92, qui situe la naissance du Front au 15 septembre 2016, date de la dernière manifestation contre la loi travail. « Dans cette mobilisation, nous nous sommes rencontrés entre syndicalistes de diverses organisations, se souvient Romain Altmann. Nous voulions aller au bout de la contestation, mais les instances dirigeantes des syndicats ont donné un coup de sifflet. Ça nous a laissé une amertume. » Pas question de relâcher la pression lors de l’élection présidentielle : dès le 22 avril, à la veille du premier tour, ils organisent le « premier tour social » dans les rues de Paris.
Un acte fondateur pour Gaël Quirante. Le message est clair : il faudra compter avec la rue. « Nous sommes convaincus que les conquêtes de notre camp ont été acquises grâce à des mouvements sociaux larges », affirme le postier. « Entre avril et juillet, aucune mobilisation n’avait été prévue. Du coup, nous avons pris nos responsabilités pour montrer que nous restions l’arme au pied. » Cette conception de la mobilisation, fondée sur l’immédiateté, a séduit Victor. « Ils ont été les premiers à s’opposer frontalement à Emmanuel Macron. Les syndicats ont préféré jouer le jeu des discussions en affirmant qu’il était trop tôt pour contester. En vérité, on connaissait déjà les grandes lignes des ordonnances », explique l’étudiant à Nanterre et membre de l’Unef.
Après le coup d’essai réussi du 22 avril, d’autres manifestations sont organisées, notamment au lendemain des résultats électoraux et le 14 juillet. Pour Jean, c’est ce qui fait la force du Front social : sa mobilisation hors des calendriers dictés par l’agenda politique. « Pas comme les confédérations syndicales », lâche cet ancien de la CGT. « On s’est rendu compte que l’on pouvait dépasser les obstacles des boutiques syndicales et nous organiser de manière horizontale », précise Gaël Quirante.
Pour autant, les initiateurs ne se situent pas dans une logique de rivalité avec les syndicats et, surtout, ils ne veulent pas être une organisation de plus. En tout, ce sont 70 syndicats locaux et associations diverses qui ont signé l’appel du Front social. Loin des appareils hiérarchisés, ils revendiquent un mouvement décentralisé, avec une structure souple. Ainsi, lors de la manifestation du 12 septembre, certains membres ont défilé avec leur syndicat, une association ou dans le cortège de tête.
Lors du meeting du 13 septembre, David Pijoan, du collectif Touche pas à ma ZEP, est venu témoigner des difficultés de la rentrée scolaire aux côtés de Bart, étudiant et livreur, membre du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap). « Dans notre secteur, il est difficile de se mobiliser ensemble : on peut travailler toute une après-midi sans voir nos copains. Le Front social nous a aidés à nous structurer comme un syndicat », témoigne le jeune homme. De son côté, Jean-Claude Amara, de Droits devant !, veut croire à cette union. « En 1995, nous avions créé la voix des “sans”. Et nous avions réussi parce que nous étions arrivés à nous allier avec les forces syndicales qui manifestaient contre le plan Juppé. Il ne sert à rien de transposer les époques, mais cela prouve que, lorsque l’on arrive à agréger ceux qui n’ont rien avec ceux qui ont encore, on peut gagner. »
Si l’objectif principal reste de faire plier le gouvernement, le Front social souhaite, à long terme « réunir les personnes afin de discuter et de définir quelle société on veut, précise Romain Altmann. Pour cela, on voulait ancrer le Front social sur le territoire et ne pas être un mouvement parisien ».
Résultat, le Front compte soixante collectifs, aux niveaux local, départemental, mais aussi dans les quartiers. Et l’ambition ne s’arrête pas là. Remontés contre la multiplication des appels à manifester, les initiateurs du Front ont envoyé une lettre ouverte à toutes les forces de contestation, particulièrement la CGT et la France insoumise, afin de réfléchir à une feuille de route commune. Gaël Quirante estime que le Front peut endosser le costume de facilitateur afin de mettre tout le monde autour de la même table. « Le 25, la fédération transports CGT-FO appelle à bloquer le pays : il faudrait que l’on se rencontre et que l’on bloque tout le pays, clame le postier. L’ambition du Front social, c’est d’en finir avec les calculs politiques et de regrouper notre camp pour arrêter de morfler, gouvernement après gouvernement. »