L’aventure singulière d’une radio plurielle

La station associative Fréquence Paris plurielle célèbre ses vingt-cinq ans. Avec le même engagement politique, culturel et social qu’à ses débuts.

Jean-Claude Renard  • 13 septembre 2017 abonné·es
L’aventure singulière d’une radio plurielle
© photo : DR

L a voix des sans-voix. » C’était le slogan de la radio à sa création, le 5 septembre 1992, quand elle émet pour la première fois. Vingt-cinq ans plus tard, ce credo est toujours d’actualité sur Fréquence Paris plurielle, communément appelé FPP. La grille des programmes en donne une idée : « Visages du Kurdistan » ; « Zooma Capricorne », émission bilingue autour de Madagascar, « Tambou Kreyol », revue de presse des Caraïbes ; « La Voix des sans-papiers » ; « Dagouwalé M’Balax », sur la musique sénégalaise, ou encore « Art en exil », sur les contes et les musiques perses, et « Le Jour de la sirène » sur l’actualité rom.

« On porte un nom guère excitant, convient Pierre Barron, à la tête de l’émission “Les Oreilles loin du front”, sur les luttes sociales, particulièrement présente à Nuit debout, mais la pluralité est ce qu’il y a de plus marquant à l’antenne. » La pluralité, c’est l’ADN de la station. « Dès le début, rappelle Pierre Barron, le projet a été de rassembler des gens qui ont peu de choses en commun, sinon certaines valeurs, humanistes, antiracistes, féministes, avec un ancrage fort sur les questions sociales, et qu’on n’entend pas dans les médias dominants. » Avec quatre secteurs privilégiés depuis toujours : les communautés étrangères, de l’Amérique latine à Madagascar, du Maghreb à la Turquie, la solidarité internationale, les luttes sociales et politiques, et enfin la culture, s’appuyant sur le hip-hop, le rock et le punk.

Installée sur la fréquence 106,3 MHz, diffusant ses programmes, sans publicité, à Paris et dans sa banlieue, membre de la Fédération des radios associatives d’Île-de-France, FPP, ce sont plusieurs dizaines d’émissions, avec deux quotidiennes, des hebdos, des mensuelles et bimensuelles.

Au début, on y écoutait déjà « L’Envolée », sur le terrain des batailles carcérales, « Arc-en-ciel », sur la communauté turque, et « Konstroy », donnant la parole aux activistes de la scène indépendante rock, hors des quotas et du marché du disque. Depuis, se sont ajoutées d’autres émissions phares comme « Langues de fronde », autour des luttes féministes, ou « Rap au logis », qui se veut loin d’un rap mainstream.

L’idée demeure de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas, ou qui s’expriment pour la première fois. « Stalingrad Connection » en est un exemple, constituée d’actu, de reportages et d’entretiens avec les migrants qui vivent autour de la station de métro Stalingrad. C’est aussi vrai pour les émissions musicales, fouillant les scènes émergentes.

Mais retour aux origines : en 1981, tombe le monopole d’État sur la radiodiffusion. Naît alors Radio Tomate, à l’initiative de militants de gauche désireux d’ouvrir de nouveaux espaces de débat et d’information politiques, suivant de près les mouvements sociaux (et leurs répressions). Radio Tomate vit seulement deux ans, avant de renaître à la croisée de différents projets, portés notamment par ses cadres et des associations de travailleurs immigrés, en 1992, sous le nom de Fréquence Paris plurielle.

Avec son quart de siècle au compteur (une éternité pour une radio associative), on peut s’étonner aujourd’hui d’une telle longévité. Ou pas. « On a échappé à tous les écueils. Comment ne sommes-nous pas morts par manque de subventions, comment a-t-on évité de devenir une radio commerciale ? On a voulu garder la fonction associative, et même éviter les publicités institutionnelles. On n’a jamais eu de tentation mercantile, parce qu’il n’y a jamais rien eu à gagner, tout simplement. Personne n’est payé pour faire une émission ! On vient ici faire de la radio, pas son métier », relève Pierre Barron, lui-même sociologue.

C’est aussi la raison pour laquelle FPP compte beaucoup d’émissions hebdomadaires ou mensuelles. « Une émission, c’est beaucoup de temps de travail, entre le choix des sujets, les livres à lire et les invités à contacter pour monter un plateau, on avance au rythme de chacun, selon ce qu’il a à dire et à faire. » Pour Yves Hazemann, documentaliste dans un établissement professionnel, animant « Singuliers au pluriel », autour des migrants, depuis 2006, et « Réseau éducation sans frontières » (RESF) [1], depuis 2007, avec parfois des émissions en direct depuis Mayotte ou Cayenne, c’est quasiment un mi-temps. Mais où l’on apprend aussi à faire de la radio « en la faisant, au jour le jour », lui-même « en coanimateur d’abord, en soignant voix, mixage et montage ensuite ».

C’est encore une marque de fabrique de la station, très formatrice, qui possède deux studios dans le XIXe arrondissement parisien, où l’on apprend la technique, l’animation, la réalisation, le reportage, le montage, l’entretien sur un plateau, où l’on est amené à savoir tout faire. Du coup, pas un domaine n’échappe à ceux qui sont passés par FPP. En « funambule de la radio », nouvellement à l’antenne avec son émission « RadioZoïde », consacrée aux enfants (et avec des enfants), Mathieu confirme : « On est dans l’expérimentation constante. On n’apprend pas ici un segment de l’outil radiophonique, mais tous les postes de A à Z. Il n’y a pas de vision hiérarchique. C’est une autre conception de la radio. »

Mathieu fait partie des deux cents bénévoles qui font vivre la radio 24 heures sur 24, aux côtés de cinq salariés, tous en contrat aidé. Avec la fin annoncée de ce statut, « la radio est un peu plus fragilisée encore, observe Pierre Barron. Jusque-là, on s’est beaucoup reposés sur le militantisme et l’huile de coude. C’est la première fois qu’on s’interroge sur notre avenir. » De quoi assombrir un peu la fête qui se prépare lors d’une réunion publique prévue à la fin du mois pour célébrer les vingt-cinq ans d’antenne.

[1] Émission également diffusée sur le site de RESF.

Fréquence Paris plurielle, 106,3 MHz. Réunion publique le 27 septembre, au Centre international de culture populaire (CICP), 21 ter, rue Voltaire, 75011 Paris.

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