Syndicats : y aller ou pas

Les organisations de travailleurs sont désunies face aux ordonnances. Seuls la CGT, Solidaires et la FSU appellent à manifester. Qu’en sera-t-il de la mobilisation du 12 septembre ?

Olivier Doubre  • 6 septembre 2017 abonné·es
Syndicats : y aller ou pas
© photo : Bertrand GUAY/AFP

Le Medef l’a rêvé, ce gouvernement l’a fait ! » Ce n’est pas un militant d’extrême gauche qui nous confiait ce jugement au lendemain de la présentation des ordonnances par le Premier ministre et la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, mais le secrétaire général de la très mesurée CFE-CGC, principal syndicat des cadres, Alain Giffard. « Pour nous, le code du travail n’a jamais freiné l’embauche, poursuit-il. C’est du pipeau joué depuis longtemps par Pierre Gattaz, puis rédigé du haut de leur Olympe par des gens qui n’ont pas conscience des réalités et qui sont surtout attentifs aux dividendes versés aux actionnaires – qui ont augmenté de plus de 25 % l’an dernier. » Et le cadre syndicaliste de rappeler la déclaration de Thibault Lanxade, éminent dirigeant du Medef : « Ce n’est pas parce qu’il y a ces ordonnances qu’on va embaucher ! »

On peut être surpris de la réaction de la CFE-CGC, quand on sait que le cœur de l’électorat d’Emmanuel Macron est constitué de catégories socioprofessionnelles supérieures, et principalement de cadres. Si Alain Giffard se dit prudemment « déçu » par les ordonnances gouvernementales, il a du mal à dissimuler un brin de colère sur la méthode de l’exécutif avec les syndicats : « Cette concertation n’était pas une négociation ; il a fallu se bagarrer pour qu’il y ait seulement une réunion multilatérale à la fin. Un comble pour une réforme qui dit vouloir favoriser le dialogue social ! »

La CFE-CGC doit encore décider, au cours d’un comité directeur extraordinaire cette semaine, de sa position quant à l’appel de la CGT et de Solidaires à une grève et à des manifestations le 12 septembre. « Ce n’est pas trop dans nos habitudes de descendre dans la rue », reconnaît le secrétaire général d’un syndicat qui n’a pas manifesté depuis le grand mouvement de novembre-décembre 1995 contre le projet Juppé sur les retraites. Mais aucune option n’est vraiment exclue : « Certaines fédérations souhaitent se mobiliser le 12. Eh bien, qu’elles y aillent ! »

C’est que le principal syndicat de l’encadrement est très critique quant au contenu des ordonnances, notamment sur la limitation des indemnités prud’homales et la fusion des institutions représentatives du personnel, comme les comités d’entreprise (CE) et les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Mais aussi sur les accords d’entreprise qui prendront la place des accords de branche, particulièrement dans les petites boîtes : « On sait comment ça va se passer. La pression du chef d’entreprise sera extrêmement forte, comme on l’a vu chez Smart, où on a dit aux salariés : “Ou bien vous êtes d’accord, ou bien on délocalise !” On pourra même supprimer le treizième mois très facilement, et les négociations seront vraiment rudes, y compris pour les cadres. »

Sur le fond, les inquiétudes des cadres de la CFE-CGC sont à peu près identiques à celles des syndicats de salariés, de la CGT à Solidaires en passant même par la CFDT, dont le secrétaire général, Laurent Berger, a exprimé sa « déception » dès que les ordonnances ont été rendues publiques. Seule la direction de FO semble déceler certaines « avancées ». Mais lundi 4 septembre, la Commission exécutive confédérale, instance élargie de l’exécutif du syndicat, adoptait une déclaration qui sonnait comme un désavœu de la position de Jean-Claude Mailly : par 28 voix contre 5, elle soulignait que « nombre d’éléments constituent une régression sociale et sont en tant que tels inacceptables », estimant « important que les confédérations syndicales puisent échanger rapidement entre elles sur la situation ».

On sait déjà que plusieurs fédérations, comme les Transports, l’Équipement ou l’Énergie, et entre 15 et 30 unions départementales (UD) FO, en particulier dans l’ouest et le centre du pays, sont très remontées depuis les déclarations de leur leader, Jean-Claude Mailly, lequel s’est félicité de la « concertation » intervenue en amont de la rédaction des ordonnances. Ainsi, Nathalie Hourmant, secrétaire générale de l’UD du Finistère, résume ce que pensent beaucoup de militants FO : « On a manifesté 14 fois contre la loi travail. Je ne peux pas entendre aujourd’hui le secrétaire confédéral dire que l’on doit respecter cette nouvelle réforme parce qu’il y a eu concertation. Qu’a-t-on obtenu pour les salariés ? »

Il est vrai que tous les militants syndicaux peuvent à bon droit se le demander. Mais, au-delà du contenu des ordonnances, résolument favorable au patronat, c’est d’abord la méthode qui a choqué les syndicats et fait monter leur colère. « Cette concertation n’a été qu’une duperie, une série de tours de passe-passe de la part du ministère du Travail. En nous cantonnant à des réunions bilatérales, nos interlocuteurs n’ont cessé d’avancer masqués, en disant certaines choses à l’un et pas à l’autre », dénonce Fabrice Angei, membre du bureau confédéral de la CGT présent à toutes les réunions au ministère. « C’est ainsi qu’on a eu des surprises incroyables à l’arrivée. Par exemple, on a découvert dans les ordonnances la création de la rupture conventionnelle collective, jamais évoquée durant les réunions bilatérales, au cours desquelles on n’avait cessé de nous répéter qu’il était hors de question de toucher au plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), alors qu’il est complètement contourné avec ce nouveau dispositif ! » Et de souligner qu’à la présentation des textes les syndicats n’ont eu « que des surprises négatives »

Pour la CGT, comme pour Solidaires, l’heure est clairement à la mobilisation. Selon Fabrice Angei, le 12 septembre, « il s’agira plus de compter le nombre d’entreprises en grève que le nombre de manifestants ». Car, pour la CGT, il est temps de tirer les enseignements du mouvement contre la loi El Khomri : « Appeler à se mettre en grève et à manifester contre l’inversion de la hiérarchie des normes ou contre les ordonnances ne saurait permettre de mobiliser au-delà du cercle élargi des militants et de leurs amis. Il faut maintenant faire converger les luttes contre les ordonnances en commençant par les revendications dans chaque entreprise. » Et le dirigeant CGT de lister tous les sujets qui peuvent mobiliser les salariés, de la hausse de la CSG à la baisse de l’APL en passant par toutes les attaques contre le droit du travail qui seront mises en œuvre dans les semaines et les mois qui viennent. « Il s’agit de montrer le “coût du capital” que l’on s’apprête à faire payer aux travailleurs et de mettre en lumière le fait que toutes ces mesures contribuent à détricoter le modèle social dans son ensemble. Car la loi qui se prépare consistera d’abord à simplifier les licenciements et à diminuer leur coût. »

Le leader de la CGT a plutôt bon espoir quant à la mobilisation à venir, en dépit de la désunion apparente des organisations syndicales, entre l’amertume de la CFDT, les désaccords au sein de FO – avec ses nombreuses entités qui s’apprêtent à rejoindre les cortèges du 12 septembre – et la CFE-CGC qui s’interroge… Quant à Solidaires, toutes ses forces sont déjà mobilisées. « Il s’agit de construire une riposte unitaire contre ces textes, et chacun est le bienvenu dans cette mobilisation, affirme Éric Beynel, porte-parole national de l’organisation. Il s’agit de savoir si on peut bloquer l’économie du pays, avec l’objectif principal d’une grève générale interprofessionnelle, face à un gouvernement qui ne dispose pas d’une réelle légitimité, comme les dernières élections l’ont montré ! » L’avenir dira si ce pari est possible.

Politique Travail
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