General Electric : Un fiasco industriel
Le cas de General Electric révèle l’écrasante responsabilité de l’État dans le dépeçage des fleurons de l’industrie française, et le rôle clé d’un certain Emmanuel Macron.
dans l’hebdo N° 1474 Acheter ce numéro
Même le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, est forcé de le reconnaître : « La restructuration [de la branche hydroélectrique de General Electric] n’est pas conforme aux engagements pris. » Nous sommes loin en effet de la promesse de 1 000 créations nettes d’emplois avant la fin 2018. Le gouvernement menace donc d’appliquer une pénalité de 50 000 euros par emploi manquant. Mais cette amende semble dérisoire pour ce mastodonte qui a réalisé 1,2 milliard de dollars de bénéfices en 2016 et vient de signer un chèque de 112 millions à son PDG, Jeffrey Immelt, qui quittait ses fonctions début août, soit plus du double de la somme que GE risque dans cette affaire.
L’État devrait donc trouver plus dissuasif. Notamment en jouant un rôle actif en profitant des parts qu’il gérait au sein de la « co-entreprise » issue de la « fusion » entre la branche énergie d’Alstom et General Electric. Il a au contraire brillé par son silence depuis trois ans. Rien pour empêcher la destruction de 345 emplois à Grenoble (et 600 emplois indirects menacés), alors que Jeffrey Immelt était reçu à l’Élysée mi-juin, quelques jours avant l’annonce du plan social. Encore moins pour faciliter la reprise de l’activité hydroélectrique par un acteur plus ambitieux, comme l’État, par exemple. « Le marché hydroélectrique est largement saturé, [il faut] savoir s’adapter à la réalité du marché », éludait sommairement Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, le 16 octobre.
Le gouvernement n’actionne pas non plus le dernier levier qu’il avait en sa possession : une « option d’achat » portant sur 20 % des parts de l’ex-Alstom énergie. Il aurait pu faire ingérence dans le démantèlement de ce fleuron de l’industrie. « C’est le sens de l’intérêt national parce que c’est vital de garder en France cette usine. […] S’il le veut, il le peut », insistait Jean-Luc Mélenchon en déplacement à Grenoble le 11 octobre. Mais l’accord secret signé par l’État dans l’autre dossier brûlant du moment, le rachat de ce qu’il reste d’Alstom par l’Allemand Siemens, était justement conditionné à ce que la France ne lève pas cette option d’achat, arrivée à échéance ce mardi 17 octobre, comme l’a révélé Christophe Castaner devant le Sénat le 10 octobre. Les affaires sont les affaires, l’État est sommé de garder ses distances.
Avec cet attentisme, le tournant désastreux que prend la filière hydroélectrique était prévisible, vu les conditions dans lesquelles l’Américain General Electric a pris le contrôle de la branche énergie d’Alstom. L’industriel français était menacé d’une amende record pour de nombreuses affaires de corruption sur lesquelles enquêtait la justice américaine, en raison de son « extraterritorialité ». Une stratégie destinée à affaiblir la bête afin de faciliter sa reprise par l’entreprise américaine, déjà utilisée à cinq reprises par General Electric pour absorber ses concurrents étrangers, comme le relate un documentaire édifiant diffusé sur la chaîne parlementaire [1].
Arnaud Montebourg, alors ministre de l’Économie, dégaine un décret interdisant la cession au nom de l’indépendance énergétique nationale. Une « alliance » et la création d’une « co-entreprise » équilibrée sont finalement préférées à une vente pure. Jusqu’à ce qu’on découvre, lors de la mise en place effective de l’accord, que GE s’empare en réalité du contrôle de l’industriel français, avec la complicité du nouveau ministre de l’Économie français, Emmanuel Macron.
Les communistes, au nom desquels Pierre Laurent s’est déplacé à Grenoble ce mardi, viennent de demander une enquête parlementaire au Sénat sur ce dossier, qui n’est pas sans rappeler celui, tout aussi bouillant, de la fusion Alstom-Siemens ou même du rachat des chantiers navals STX par leur concurrent italien en mai.
Les inquiétudes sont maximales, car l’usine GE de Grenoble n’est pas le seul exemple de fiasco industriel. Il y a eu Alcatel, entreprise télécom rachetée en 2015 par Nokia, qui connaît son deuxième plan social cette année (600 postes supprimés) malgré la promesse du Finlandais de ne pas détruire l’entreprise. Ou Arcelor, attaqué par l’Indien Mittal en 2006, qui fermait l’usine de Gandrange (Moselle) en 2009 et une partie de celle de Florange en 2013 au nez et à la barbe du gouvernement socialiste. Autre motif d’inquiétude, c’est Airbus qui est désormais dans le viseur, à travers des enquêtes pour corruption, non dénuées d’arrière-pensées, de la part de la justice américaine.
[1] Guerre fantôme : la vente d’Alstom à General Electric, Along Production, à voir sur www.guerrefantome.com