Glyphosate : La société civile passe à l’attaque

Monsanto doit faire face à la contestation citoyenne et au travail assidu de nombreuses associations bien décidées à démontrer la toxicité du glyphosate, contenu dans le Roundup.

Vanina Delmas  • 4 octobre 2017 abonné·es
Glyphosate : La société civile passe à l’attaque
© photo : Alexandros Michailidis/SOOC/AFP

L’herbe est verte, le ciel est bleu, et Rex le chien combat les mauvaises herbes grâce au Roundup, « le désherbant biodégradable ». Au début des années 2000, cette publicité inonde les petits écrans. Une jolie bande-annonce qui ne dupe pas tout le monde. L’association Eau et Rivières de Bretagne assigne la filiale française en justice pour publicité mensongère, car ses études révèlent un taux de glyphosate dans les eaux bretonnes supérieur au seuil légal. Quelques années auparavant, un procès similaire s’est ouvert à New York car les publicités assénaient que « le glyphosate est moins toxique pour les rats que du sel de table ingéré en grande quantité ». Au final, deux condamnations de quelques milliers d’euros et de dollars, des sommes dérisoires pour le géant américain, qui brasse des milliards d’euros de chiffres d’affaires chaque année.

Le début de la saga Monsanto, et de son produit phare, remonte à plusieurs décennies. Après avoir créé sa section Agriculture, spécialisée dans les engrais, Monsanto met sur le marché en 1975 le premier herbicide à base de glyphosate, puis lorgne sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). En 1996, sont créées des plantes dites Roundup Ready, c’est-à-dire tolérantes… à son propre herbicide !

Aujourd’hui, la mainmise de Monsanto sur le monde agricole reste considérable mais s’étiole doucement. Certains pays jouent les trouble-fête, comme le Sri Lanka. Son Président interdit en mars 2014 l’utilisation du glyphosate, suspecté d’être la cause d’une maladie chronique des reins ayant causé la mort de près de 30 000 paysans. Une étude scientifique a montré la propriété du glyphosate à se lier aux métaux lourds, les introduisant ainsi dans le corps humain.

Mais le véritable rebondissement a lieu en mars 2015. Le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), rattaché à l’Organisation mondiale de la santé (OMC), déclare le glyphosate « cancérogène probable pour l’homme ». Plusieurs études épidémiologiques font le lien entre cette substance contenue dans le Roundup, le pesticide le plus vendu au monde, et un risque accru de lymphome non hodgkinien, un cancer du sang, chez les agriculteurs et les jardiniers exposés. Une nouvelle fracassante car la Commission européenne doit alors voter la ré-homologation, ou pas, du glyphosate pour dix ans dans l’Union européenne. Cette décision est maintes fois repoussée, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne des produits chimiques (Echa) affirment que le glyphosate est non génotoxique et non cancérogène en s’appuyant sur des travaux fournis par les industriels et gardés secrets (voir ici).

Or, « si une étude ne peut pas être vérifiée, elle n’a aucun statut scientifique et ne devrait pas être prise en compte par les agences », martèle Michèle Rivasi, eurodéputée écologiste. Avec trois autres collègues, elle a lancé une action en justice contre l’Efsa auprès de la Cour de justice européenne, dans l’espoir d’obtenir leurs sources, comme le prévoit la législation. Elle espère surtout que cela fera jurisprudence pour d’autres cas. Cette plainte est l’aboutissement, un peu désabusé, d’une année de tractations avec l’agence européenne et de situations plus ubuesques les unes que les autres. Exemple : « Monsanto a autorisé le commissaire de la santé et son équipe à voir les documents mais dans une salle de lecture, close, sans possibilité de prendre de notes ou de photos ! », raconte Michèle Rivasi.

Si cette nouvelle saison de la série « glyphosate » se déroule en grande partie dans l’arène politique européenne, l’élément perturbateur lançant la bataille pour la transparence vient de l’autre côté de l’Atlantique. En mars 2017, la justice américaine autorise la déclassification de milliers de documents internes de Monsanto, dans le cadre d’une action en justice contre la firme agrochimique. C’est le début des « Monsanto Papers ». Carey Gillam, ancienne journaliste à Reuters, spécialisée dans le monde agricole et la question des pesticides, a enquêté pendant près de vingt ans sur Monsanto [1]. Elle a été l’une des premières à obtenir et à partager des courriels internes et des mémos de l’entreprise. « J’ai découvert que Monsanto s’emploie depuis des décennies à tromper les organismes de réglementation, les législateurs, la presse et le public sur la sécurité du glyphosate et donc du Roundup. De plus, il y a des signes flagrants de collusion entre Monsanto et l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA), chargée d’évaluer la sûreté du glyphosate », raconte-t-elle. En effet, des messages prouvent que, dès 1999, des cadres de Monsanto savaient que le glyphosate pourrait être considéré comme génotoxique, donc susceptible de provoquer des cancers.

« Actuellement, plus de 250 personnes atteintes de cancer sont prises en charge par un juge de San Francisco, en Californie. Et plus de mille autres personnes poursuivent Monsanto devant des tribunaux d’État du pays avec toujours la même accusation : le Roundup est la cause de leur lymphome non hodgkinien », explique Carey Gillam, devenue directrice de recherche à l’association US Right to Know, qui promeut la transparence dans le système alimentaire. Le premier procès est fixé à juin 2018, mais une audience importante aura lieu en décembre à San Francisco : le juge écoutera des témoignages scientifiques sous serment, montrant que le Roundup cause des cancers.

Les actions en justice apparaissent comme un nouveau versant de la guerre ouverte contre Monsanto et le glyphosate. « Plus il y a de plaintes, plus nous obtiendrons de dossiers internes de Monsanto. Donc les documents dévoilés jusqu’ici ne sont que le début. Nous pouvons nous attendre à ce que ceux-ci deviennent publics au cours des prochains mois », glisse Carey Gillam. Un cercle vertueux porté par la société civile. En octobre 2016, à La Haye (Pays-Bas), un procès citoyen baptisé Tribunal international Monsanto avait mis en lumière les multiples accusations dirigées contre le géant américain de l’agrochimie. Cinq magistrats professionnels venus d’Argentine, de Belgique, du Canada, du Mexique et du Sénégal avaient auditionné une trentaine de témoins, d’experts, de victimes et d’avocats. Comme à son habitude, Monsanto avait opté pour la politique de la chaise vide. Mais ces paroles précieuses ont permis aux juges de rendre un avis consultatif six mois plus tard : « Les activités de Monsanto ont un impact négatif sur les droits humains fondamentaux. » Ils ont également lancé un appel pour que les victimes des multinationales soient mieux protégées, et que le crime d’écocide soit inclus dans le droit international.

Les initiateurs de ce procès citoyen, dont Arnaud Apoteker, ancien responsable de la campagne OGM pour Greenpeace France, décident de poursuivre ce travail et fondent l’association Justice pesticides [2]. « Nous avons réalisé qu’il manquait une vision globale de ce qui se passe en justice contre ces compagnies, explique-t-il. Collecter toutes les affaires légales liées aux pesticides à travers le monde pourrait montrer aux victimes qu’ils ne sont pas seuls et petit à petit élaborer des stratégies juridiques gagnantes contre ces fabricants de poisons. »

Depuis deux ans, une esquisse de coalition internationale de citoyens et d’ONG se dessine et attaque la firme sur plusieurs fronts. « Monsanto commercialise des produits toxiques depuis des années et a fait face à de nombreuses contestations. Mais, aujourd’hui, nous arrivons à une hauteur inégalée parce que les associations se sont professionnalisées, et que leur travail nous permet de mieux comprendre tout le système », analyse François Veillerette, porte-parole de Générations futures, association française aux avant-postes de la bataille depuis plus de vingt ans. Les marches mondiales contre Monsanto ou les actions sporadiques des Faucheurs volontaires d’OGM dans des magasins de jardinage de l’Ardèche ou de l’Ariège déplacent ce combat dans la rue. Une Initiative citoyenne européenne (ICE) l’exporte jusque dans les couloirs de la Commission européenne. « Des entreprises comme Monsanto dépensent beaucoup d’argent pour influencer les agences de réglementation et les universités publiques responsables des programmes de recherche. Les groupes de citoyens peuvent faire la différence, mais c’est un combat difficile pour eux », souligne Carey Gillam.

Un combat qui doit aussi se mener sur le terrain de la communication. Des associations comme Générations futures l’ont bien compris et tentent de « contrebalancer ce rouleau-compresseur » par des rapports montrant la présence de glyphosate dans les cheveux ou l’urine de la population, dont des personnalités connues, et des produits alimentaires. « Nous servons de lanceurs d’alerte car, bien souvent, les études n’ont même pas été réalisées », signale François Veillerette.

Cette bataille de l’image est précieuse pour gagner le soutien de l’opinion publique, et lui faire prendre conscience du système Monsanto. Le photographe Mathieu Asselin [3] a enquêté pendant six ans pour rendre visibles les ravages humains, écologiques et économiques des produits du géant américain, notamment l’agent orange, le fameux napalm utilisé lors de la guerre du Vietnam, qui a engendré plusieurs générations d’enfants souffrant de malformations génétiques. « Mon but était de faire connaître l’histoire de Monsanto, son passé, et montrer que certaines choses risquent de se répéter même si ce ne sont plus les mêmes produits : problèmes de contamination, de santé mais aussi les combines pour cacher des informations ou truquer des études… », explique le photographe franco-vénézuélien, qui s’est intéressé à cette entreprise après une discussion avec son père. « Une majorité de consommateurs achète, avale ce qu’on lui vend sans chercher à savoir. Peut-être qu’à travers la photographie, nous pouvons inciter les gens à chercher ce qui se cache derrière le monde de Monsanto. » Le feuilleton ne semble pas près du dénouement, puisque l’industriel pharmaceutique Bayer a annoncé son intention de racheter Monsanto.

[1] Whitewash, The Story of a Weed Killer, Cancer, and the Corruption of Science, Carey Gillam, Island Press, 272 p., 30 euros.

[2] justicepesticides.org

[3] Monsanto, une enquête photographique, Mathieu Asselin, Actes Sud, juin 2017.

À lire aussi dans ce dossier « Monsanto, ennemi public n° 1 » :

Tractations européennes

Christian Vélot : « Les lobbys ont pénétré l’édition scientifique »

Écologie
Temps de lecture : 9 minutes

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