Glyphosate : Tractations européennes
Face à la Commission européenne, qui s’active pour prolonger l’autorisation du glyphosate, la France est prête à temporiser.
dans l’hebdo N° 1472 Acheter ce numéro
L’interdiction du glyphosate dans l’Union européenne est mal engagée. Le renouvellement ou non de l’autorisation de cet herbicide, dont la licence expire fin 2017, devrait se jouer les 5 et 6 octobre dans une réunion à Bruxelles d’un comité d’experts composé de représentants des 28 États membres. Ces derniers doivent se prononcer à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population de l’UE) sur la proposition de la Commission européenne de renouveler pour dix ans l’homologation de ce produit.
En 2016, faute de majorité qualifiée entre les 28, la Commission avait exceptionnellement décidé de prolonger pour 18 mois l’autorisation de cette substance active, dans l’attente de nouveaux avis d’agences européennes. Le commissaire européen à la Santé, Vytenis Andriukaitis, avait alors déploré une « situation de blocage institutionnel », tout en notant l’ambiguïté des États membres « qui cherchent à amener la Commission à prendre une décision à leur place ». Depuis, l’Agence européenne en charge des produits chimiques (Echa) et celle de la sécurité des aliments (Efsa) ont estimé qu’il n’y avait pas de raison de classer le glyphosate comme cancérogène. Leurs avis, sur lesquels s’appuie la Commission pour affirmer que « cette substance est sans danger », sont toutefois fortement contestés par des ONG et des scientifiques qui les jugent « biaisés » car fondés sur des dizaines d’études confidentielles. Et selon un biochimiste autrichien, Helmut Burtscher, des passages cruciaux du rapport de l’Efsa sont des copiés-collés de documents rédigés par la Glyphosate Task Force, un consortium d’entreprises commercialisant des produits à base de glyphosate et réunies autour de Monsanto. Ces avis contredisent surtout celui du Centre international de recherche contre le cancer (Circ) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui l’avait classé en mars 2015 comme « cancérogène probable » en se fondant sur des rapports scientifiques publics.
Une Initiative citoyenne européenne pour dire « stop au glyphosate », lancée début février 2017 par une quarantaine d’ONG européennes, a recueilli plus de 1,3 million de signatures. Ce million de signatures, qui permet d’interpeller directement la Commission européenne, a été atteint en moins de cinq mois, signe d’une préoccupation sociétale importante à l’égard des pesticides. Le succès inédit de cette initiative citoyenne n’a, pour l’heure, pas affecté la détermination de la Commission à homologuer à nouveau le glyphosate.
Le délai supplémentaire acté en juin 2016 n’aura donc pas éteint le débat politique sur l’herbicide initialement développé par Monsanto dans son Roundup, commercialisé ensuite par d’autres géants de l’agrochimie, tels Syngenta ou Barclay Chemicals. À quatre jours de la nouvelle réunion du comité d’experts, aucune majorité claire ne se dessinait. Sur 28 États membres contactés par l’AFP, via leur représentation diplomatique auprès de l’UE, un peu moins de la moitié ont répondu : la plupart pour dire que leur vote n’était pas encore arrêté. Cinq ont indiqué qu’ils soutiendront la proposition de la Commission. Le gouvernement allemand, qui jusqu’à présent s’était abstenu, est divisé. La France, qui en raison de son poids a une position-clé dans un vote à la majorité qualifiée, est un des seuls pays, avec l’Autriche, à avoir affiché publiquement son opposition à la proposition de la Commission européenne.
Ce refus de la France laisse toutefois la porte ouverte à une autorisation limitée à cinq ou sept ans. Un compromis à l’instar de celui sur la définition des perturbateurs endocriniens, acceptée à Bruxelles début juillet. Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, tout en admettant que le texte n’était « pas parfait », s’en était félicité au prétexte que l’absence, jusqu’à cette date, d’une définition claire de ces substances entravait leur réglementation. L’argument n’a pas convaincu la commission Environnement du Parlement européen : le 28 septembre, elle a rejeté cette définition, la jugeant trop permissive.
Un compromis sur le glyphosate constituerait une démission face aux lobbys. Ce dont les politiques tentent déjà de se préserver en déléguant à un comité d’experts une décision qui, selon l’écologiste Corinne Lepage, devrait être prise en Conseil des ministres européens : « S’ils décident ça en comité, c’est pour dédouaner les politiques, donc c’est très mauvais pour nous. »
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