La jalousie des pauvres
Pour guérir de cette envie pathologique qui aigrit les cœurs et mine le corps social, le chômeur, le smicard, le salarié feraient donc mieux d’accepter leur sort une fois pour toutes. À le refuser, ils font du mal à la France.
dans l’hebdo N° 1474 Acheter ce numéro
L’air de rien, Emmanuel Macron a inventé un nouveau concept sociologique, dimanche sur TF1 : la jalousie sociale. À l’en croire, le smicard aurait tendance à regarder dans l’assiette de Bernard Arnault. Et le syndicalisme ne serait qu’un fâcheux trait de caractère. Car c’est « la jalousie qui paralyse la France ». Au cours d’un long monologue à peine interrompu par quelques questions dont il ne semblait guère s’embarrasser, Macron a également innové en économie. À la théorie du ruissellement, un peu trop connotée « idéologie libérale », il a préféré l’image du « premier de cordée », que l’on imagine traînant derrière lui comme un fardeau un peuple ingrat. On voit bien l’idée. Notre société serait construite à partir de hiérarchies immuables dont la verticalité est aussi abrupte que la face nord des Grandes Jorasses. Pour guérir de cette envie pathologique qui aigrit les cœurs et mine le corps social, le chômeur, le smicard, le salarié feraient donc mieux d’accepter leur sort une fois pour toutes. À le refuser, ils font du mal à la France. Voilà où nous en sommes !
Rappel
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À nos lecteurs
À la suite d’une chronique critiquant l’annulation d’un colloque consacré à l’islamophobie (voir Politis n° 1473), notre ami Christophe Kantcheff a reçu plusieurs menaces d’agression physique. Ce qui en dit long sur ces lobbys racistes qui pratiquent l’amalgame « musulmans-jihadistes », au nom, hélas, de la laïcité. Ils ne nous feront pas dévier de notre route.
Nos concitoyens qui ont eu la patience de regarder ce long plaidoyer pro domo ne pouvaient guère être convaincus. C’est d’ailleurs ce que confirme un sondage publié peu après l’émission [1]. Emmanuel Macron est-il un naïf ou un cynique ? Croit-il vraiment, contre toutes les évidences, que les gros actionnaires, encore enrichis par sa politique, vont investir dans l’économie réelle ? Que les propriétaires vont baisser leurs loyers pour compenser la suppression de l’aide personnalisée au logement ? Il le croit si peu qu’il s’apprête à contraindre les offices HLM, quitte à mettre en difficulté le logement social.
C’est toujours la même histoire : quand les concessions faites aux riches sont énormes, immédiates, et ruineuses pour le budget de l’État, les contreparties promises aux plus modestes sont, au contraire, pour des lendemains incertains. Comme l’augmentation des salaires des fonctionnaires, budgétée, puis reportée… à 2019. Ou encore ce marché de dupes : une augmentation bien réelle de la CSG, appliquée sans délai, mais une suppression de la taxe d’habitation renvoyée à plus tard, et qui va appauvrir les collectivités territoriales, lesquelles, d’une façon ou d’une autre, le feront payer à leurs résidents – on annonce déjà l’explosion des prix du stationnement en ville, sans parler d’une prévisible détérioration des infrastructures. Au total, la politique d’Emmanuel Macron ressemble de plus en plus à une partie de bonneteau. Les perdants sont toujours les mêmes.
L’extension de l’assurance-chômage aux salariés démissionnaires risque de procéder de la même illusion. Elle était inconditionnelle dans le programme du candidat. La voilà sérieusement encadrée dans le discours du Président, et conditionnée à un « projet » qui la rend aléatoire et arbitraire. En fait de pédagogie, on a surtout le sentiment d’un enfumage.
Dimanche, Emmanuel Macron n’a pas parlé des promesses faites aux agriculteurs à l’occasion des États généraux de l’alimentation. Dommage, car l’engagement de déterminer les prix à partir des contraintes du producteur est intéressant. S’il est tenu – ce dont tout le monde doute –, il devrait permettre à ceux des paysans qui ne parviennent même plus à se rémunérer de vivre de nouveau de leur travail. Mais l’affaire est comme un condensé de toutes les difficultés du pays. La grande distribution, qui, jusqu’ici, régnait sur les prix, hurle déjà au crime économique, et promet de faire lourdement payer le consommateur. Où l’on retrouvera l’étudiant, le fonctionnaire, le retraité et tant d’autres déjà attaqués dans leur pouvoir d’achat… Car c’est aussi cela la politique libérale : le risque d’opposer entre elles des catégories de citoyens prises dans le piège infernal des fameux critères européens.
[1] Selon un sondage Harris Interactive, 61 % des Français « exposés à la prise de parole du Président » n’ont pas été convaincus.
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