Le Parlement vers un service minimum
Emmanuel Macron veut considérablement renforcer le présidentialisme de la Ve République, nous éloignant toujours plus de la démocratie.
dans l’hebdo N° 1473 Acheter ce numéro
Efficacité, rapidité. Tels sont les maîtres mots de la réforme du Parlement engagée dans une relative indifférence depuis quelques semaines. Pour l’heure, seule l’Assemblée nationale y travaille. Mais le Sénat sera bien forcé de suivre ; c’est une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Depuis le 20 septembre, sept groupes de travail, présidés chacun par un élu des sept groupes politiques de l’Assemblée, ont ainsi commencé à réfléchir sur la procédure législative et les droits de l’opposition ; les moyens de contrôle et d’évaluation à la disposition des députés ; le statut des députés et celui des collaborateurs parlementaires ; le développement durable dans la gestion et le fonctionnement du Palais Bourbon ; la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne ; l’ouverture de l’Assemblée à la société, ainsi que son rayonnement scientifique et culturel. Les auditions s’enchaînent. Une consultation citoyenne a également été lancée, lundi, sur la manière de promouvoir la participation citoyenne dans la vie politique.
Pour François de Rugy, l’initiateur de ces groupes de travail, le Parlement doit se transformer pour contrer « la défiance envers les institutions » qui s’est notamment manifestée aux élections législatives par un taux d’abstention supérieur au taux de participation. Tous les six mois, « des changements dans le fonctionnement » seront « actés », promet-il. Mais tous ces chantiers n’ont pas à ses yeux la même importance. Zélé télégraphiste de la vision du monde du chef de l’État, il est convaincu qu’il ne sera pas possible de « rétablir la confiance citoyenne » tant que le Parlement continuera à montrer sa « difficulté à prendre des décisions ». En clair, il faut simplifier les procédures pour accélérer la mise en œuvre des réformes décidées par l’exécutif.
L’idée n’est pas nouvelle. « Il y a un décalage flagrant entre le temps exigé par le mode d’élaboration de la loi et la rapidité attendue par les concitoyens », déclarait en octobre 2016 un François Hollande en fin de course, après six recours à l’article 49-3, qui permet l’adoption d’une loi sans vote. Emmanuel Macron a repris le flambeau : « Être efficace, c’est en finir avec le bavardage législatif », annonce crûment le futur Président dans son livre-projet, Révolution (XO Éditions), publié en novembre 2016.
Il s’est engagé à réduire d’un tiers le nombre de parlementaires et à introduire une dose de proportionnelle. Une proposition qu’il sait être populaire, raison pour laquelle elle figurait dans tous les tracts résumant son programme et celui d’En marche ! Ce qui n’a pas été le cas de dispositions plus techniques envisagées durant la campagne : limitation du temps législatif à trois mois par an (hors budget) ; réduction des navettes Assemblée-Sénat, ce qui revient à généraliser la procédure d’urgence qui limite à une seule lecture par chambre, au lieu de trois, l’examen d’un projet de loi ; interdiction de déposer en séance plénière des amendements rejetés en commission afin d’empêcher l’obstruction ; adoption de certains textes en commission, ce qui priverait cinq députés sur six de leur pouvoir législatif. Toutes propositions reprises à son compte par François de Rugy, et sur lesquelles la plupart des groupes de travail qu’il a mis en place doivent plancher urgemment en vue de la révision constitutionnelle annoncée par le chef de l’État. Ce dernier souhaitant achever les réformes institutionnelles à l’été 2018, les premières copies devront être rendues en décembre.
Cette volonté d’accélérer et de simplifier les conditions de la délibération marque une nouvelle étape du « parlementarisme rationalisé » qui constitue, depuis 1958, la matrice de la Constitution de la Ve République. Dès l’origine, celle-ci s’est attachée à limiter par toute une série de dispositions réglementaires les pouvoirs et les capacités d’initiative du Parlement au profit de l’exécutif, dont la prééminence n’a cessé d’être renforcée.
« Une démocratie qui n’avance pas est une démocratie qui prend le risque de tomber », martèle François de Rugy. Le danger existe en effet et la Ve République en est un bon exemple. Mais vouloir « réconcilier le temps démocratique et le temps de la décision avec celui de la vie réelle et économique », ce qui est l’objectif assigné par Emmanuel Macron, en est un autre, plus insidieux et plus pernicieux. En réduisant l’espace et le temps de la conflictualité consubstantielle à toute démocratie, on concentre le pouvoir et renforce son penchant naturel à l’autoritarisme.
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