Marlène Schiappa, reine de cœur du macronisme

Femme de caractère, hyperactive, accro aux médias et aux réseaux sociaux, la secrétaire d’État à l’Égalité femmes-hommes s’impose comme une pièce maîtresse au service du Président.

Nadia Sweeny  • 25 octobre 2017 abonné·es
Marlène Schiappa, reine de cœur du macronisme
© photo : ALAIN JOCARD/AFP

Après quelques allées et venues de jeunes hommes pressés en costume bleu marine, les annexes de Matignon réservées à l’Égalité femmes-hommes nous ouvrent leurs portes. Privée de ministère dédié, la cause féminine se loge donc sous l’aile d’Édouard Philippe. Marlène Schiappa sort de son bureau grand sourire aux lèvres, son téléphone portable dans une main, Mounir Mahjoubi – secrétaire d’État au numérique – à ses côtés. Les bises claquent. Rendez-vous suivant. Bienvenue au cœur du macronisme.

Le cheveu désormais discipliné, laissant apparaître une petite Corse d’or se balancer autour de son cou, la jeune femme de 34 ans nous accueille chaleureusement dans son grand bureau républicain. Elle n’a pas tant changé depuis que nous l’avions croisée quelques années auparavant dans une petite librairie du cœur parisien. Elle y faisait la promotion d’un de ses nombreux opus – Le Dictionnaire déjanté de la maternité, passé largement inaperçu. Mais Marlène Schiappa n’est pas du genre à se décourager. Bien au contraire. Les nombreux couacs successifs qui ont jalonné ses premiers mois au gouvernement l’ont aguerrie. « Attaquez-la, lance, un brin provocateur, un de ses amis les plus proches_. Plus vous le faites, plus elle se renforce ! »_ Et il est vrai que le processus est impressionnant. Fini la jeune femme à la folle crinière qui vole au vent dans un désordre touchant et naturel. Aujourd’hui, il est question de contrôle et de gestion.

Avec le plus petit budget de la République – quasiment entièrement dédié à la subvention d’associations –, elle doit porter la cause nationale du quinquennat en démarrant par une rupture de promesse de campagne : il n’y aura pas de ministère du Droit des femmes. Pas simple ! « La seule chose que cela change, c’est mon titre, ma rémunération et le nombre de conseillers dans le cabinet », justifie-t-elle, en omettant de parler de son absence au Conseil des ministres. « J’y vais dès qu’un sujet me concerne de près ou de loin, donc à presque tous. » Tout est dans le presque.

« Si Emmanuel Macron voulait faire du droit des femmes sa priorité, il y aurait un ministère de plein exercice », tacle la militante féministe Caroline De Haas. Mais Marlène Schiappa ne se laisse pas démonter : elle ne cesse de rappeler que son budget sera, fait inédit, « sanctuarisé » à 28,9 millions d’euros par an pour le reste du quinquennat. Sa baisse de 25 % pour 2017 avait pourtant fait grand bruit. C’est, selon elle, la conséquence d’un « jeu politique » qui consiste à « voter un budget haut et l’exécuter bas », laissant profiter le pouvoir en place de l’« effet d’annonce ». « C’est pour cela que la Cour des comptes a jugé le budget précédent insincère », explique la secrétaire d’État. Elle assure que, malgré cette baisse, « aucune association n’a été pénalisée ». D’autant qu’aujourd’hui ces jeux budgétaires, « c’est fini », jure-t-elle. « Sur consigne de Bercy, on est dans l’obligation de tout dépenser. » Même si ce n’est que 0,006 % du budget de l’État…

Mais, au cabinet de la secrétaire d’État, on met en avant la transversalité. Tous ministères confondus, la politique publique de l’égalité femmes-hommes équivaudrait, en fait, à 400 millions d’euros. Marlène Schiappa doit donc frapper aux portes de ses collègues ministres pour mener ses projets. « On est très dépendant à ce poste, se souvient Pascale Boistard, qui l’a occupé pendant dix-huit mois sous le précédent mandat. On est tout le temps obligé d’aller convaincre les collègues. » Une réalité que l’occupante des lieux réfute, au point de juger « cyniques » nos questions autour des relations entre personnels politiques.

Certes, avoue-t-elle, « en politique, les gens veulent tout le temps tirer la couverture à eux », mais pas dans ce gouvernement, paraît-il. « Il y a une réelle bienveillance entre ses membres. Nous ne sommes pas dans un esprit de concurrence, et je ne vais pas taper aux portes : ce sont souvent les ministres qui viennent eux-mêmes me voir. » Le combat politique serait donc gagné, et tout se passerait pour le mieux, dans un magnifique « consensus » ? Pour Caroline De Haas, « Marlène Schiappa paraît assez loin de la “cruelle réalité” du monde politique ». Sur le sujet, la secrétaire d’État préfère citer Georges-Marc Benamou : « La politique, c’est le rêve en action. » Un beau slogan pour celle qui est désormais la première à occuper ce poste tout en affirmant qu’elle n’a « pas besoin de diplomatie »… Avant d’ajouter naturellement que « tout le monde sait que l’égalité, c’est la grande cause nationale du quinquennat et que le Président y est attaché ».

Certains, au sein du gouvernement, n’y sont pas toujours sensibles. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est ainsi distingué le 16 octobre. Réagissant au #balancetonporc, il a clamé fier comme un coq au micro de France Info que « la dénonciation ne fait pas partie de [s]on identité politique ». Avant de rétropédaler quelques heures plus tard dans une vidéo postée sur Twitter, affirmant cette fois-ci nettement moins fiérot qu’évidemment « s’[il] étai[t] au courant de faits de harcèlement sexuel contre une femme, [il] serai[t] le premier à les signaler ».

Il semble donc que, derrière la petite voix de Marlène Schiappa et un certain angélisme, se cache un poids lourd d’influence : « Elle n’est ni un mouton, ni une suiveuse, ni une proie… », confirme un ami.

Assise à la petite table où elle reçoit ses invités, Marlène Schiappa sirote son thé au lait, le nez rivé sur son smartphone : « Une jeune femme du Mans a été tuée à l’étranger… Je regarde si on a des informations sur les circonstances de sa mort », se justifie-t-elle. Le lendemain de notre rencontre, elle tweetera ses condoléances. Bertrand Cantat en une des Inrocks : elle tweete son indignation. Clash entre Christine Angot et Sandrine Rousseau sur France 2 : elle saisit le Conseil supérieur de l’audiovisuel et publie sur Twitter son courrier… Comme Emmanuel Macron, Marlène Schiappa fustige la « quête de la petite phrase par les médias », mais ne se prive pas d’en lancer elle-même en 140 signes sur Twitter.

Le contrôle de sa communication a d’ailleurs ses travers : elle répète inlassablement ses éléments de langage sur les plateaux de télévision qu’elle écume, et il est parfois difficile de l’en faire sortir. Dès que son conseiller communication quitte la pièce pour un rendez-vous, son directeur adjoint de cabinet prend la relève. Très « freak control », elle admet ne pas avoir prévu le « buzz » du « calmez vos nerfs ! » lancé subrepticement aux députés de droite qui la chahutaient en pleine séance de questions au gouvernement. Mais elle a saisi la fenêtre de tir en retweetant chacun des articles, vidéos, réactions autour de ce rabattage de clapet en pleine Assemblée.

« Elle réagit à tous les “faits divers” d’importance variable, admet Mathieu Pontécaille, son conseiller communication. On connait les emballements médiatiques, ça monte très haut, mais il faut se méfier de l’effet soufflet. Notre objectif, c’est de l’inscrire en permanence à l’agenda médiatique. Notre combat est culturel, il faut qu’on en parle tout le temps. » Pour Pascale Boistard, qui a cruellement manqué de cette capacité d’omniprésence médiatique, « elle a raison de jouer là-dessus, car ceux qui sont d’accord avec elle la soutiennent, et ceux qui ne le sont pas sont obligés de le faire. Vous mettez un couteau sous la gorge à tout le monde quand vous faites ça ». Une technique « au service de sa cause, pas de Marlène Schiappa elle-même », tient-on à préciser. Il est cela dit indéniable que le cœur de sa puissance politique, c’est son poids médiatique, son image qui, par ricochet, rejaillit sur la présidence. D’autant que vient s’y ajouter une alliée de taille au sein des rouages du pouvoir : Brigitte Macron, avec qui elle s’entretient « très régulièrement ».

N’est-ce pas utile pour l’Élysée – qui souffre d’une image droitière – de laisser prendre une si grande place médiatique à celle que certains n’hésitent pas à décrire comme la « conscience de gauche » du gouvernement ? Celle qui porte un message d’égalité faisant largement consensus dans l’opinion. Celle dont le combat fédère. Et il fédère notamment parce qu’on ne peut pas en nier l’authenticité. Marlène Schiappa – à l’origine du blog « Maman travaille », sur l’alliance vie professionnelle et vie familiale – a fait de la question féminine l’engagement de sa vie. Auteur de plusieurs livres sur les problématiques liées au sexisme dans la société, elle est à l’origine de l’expression « plafond de mère » et du premier livre sur la culture du viol. « Il y a des choses que j’ai vécues et que je ne veux pas que mes filles vivent, explique-t-elle. Quand je regarde la condition des femmes au XXIe siècle, je me dis que la société n’est pas à la hauteur, et cette injustice me révolte. »

Avec sa capacité à être incontournable, Marlène Schiappa fait d’une pierre deux coups : elle met la question de l’égalité au top de l’agenda médiatique et, par cette réussite, devient la parfaite « représentante de commerce » du pouvoir présidentiel. Issue de la société civile mais pas totalement – elle a fait un passage de quelques mois au cabinet de Laurence Rossignol et est adjointe au maire du Mans sur les questions d’égalité –, elle est une fidèle parmi les fidèles d’Emmanuel Macron. Lors de la campagne présidentielle, nous l’avions interrogée sur sa rencontre avec le futur Président. « C’est comme tomber amoureuse pour la première fois », avait-elle déclaré… De ce sentiment est née une fidélité qui la pousse à peu de transparence concernant les bras de fer internes. Son côté « corporate » s’apparenterait presque à un réflexe « vieille politique ».

L’heure n’est cependant pas aux tergiversions, mais à la marche rapide. Les projets et les propositions s’enchaînent comme des perles sur un fil. Chaque action a son rôle politique. Sa « charte de la laïcité », qu’elle va imposer aux associations subventionnées, est inspirée par l’action de Valérie Pécresse à la Région Île-de-France. C’est un futur comité décisionnaire, formé « par des gens influents », qui désigneront in fine les associations subventionnées et le contenu de cette charte. « Nous sommes dans une période crispée. L’idée, c’est de rassurer, de dire que tout est “clean” et qu’on sera hyper transparent ». La charte de Valérie Pécresse, remettant en cause la neutralité de l’espace public, a soulevé l’indignation.

Le risque pour Marlène Schiappa – qui défend toujours le droit des mères voilées à accompagner les sorties scolaires –, c’est qu’à force de donner des gages à tout le monde, elle finisse par tomber dans la contradiction. Le consensus a ses limites qui, derrière les paillettes de la com’, pourraient finir par se voir. La secrétaire d’État serait alors accusée de ne s’en tenir qu’aux « effets d’annonce » qu’elle vilipendait plus haut. Sûr qu’elle saura y répondre : Marlène Schiappa a la mentalité de « la France pressée et qui gagne ». Celle qui dit « avoir créé sa boîte par flemme – pour pouvoir choisir ses horaires et garder ses filles » – est aussi capable d’abattre une énorme quantité de travail. Aujourd’hui, elle avoue ne plus avoir de vie privée.

Présente lors des discussions en Conseil des ministres, l’évocation de la loi travail et ses effets sur les femmes l’irrite pourtant quelque peu : « On ne va pas détailler chaque mesure. L’objectif, c’est de libérer et de protéger », coupe-t-elle, arguant que les thèses remettant en cause cette « vérité » seraient issues du discours idéologique tenu par la gauche de la gauche et la CGT. « Mon rêve de petite fille, ce n’était pas de passer trente ans dans une seule entreprise », lance-t-elle comme une évidence, sans que pointe l’éventualité d’autres ambitions que courir après le travail. Et l’image du « slasheur » [1] heureux de l’être – mot dont la réalité pourrait aussi être « précaire » – donne le tournis. Mais Marlène Schiappa concocte déjà quelque chose autour de l’égalité salariale – pour donner des gages à sa gauche ? –« Je ne peux pas en dire plus »… Gageons que ce sera l’objet d’un prochain buzz.

[1] Qui jongle avec plusieurs boulots.

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