Réforme des APL : Mortifère article 52
En faisant porter le poids de la réduction des APL sur les bailleurs sociaux, le gouvernement menace la cohésion sociale.
dans l’hebdo N° 1475 Acheter ce numéro
Une personne sur deux vit ou a vécu en HLM. C’est une réalité. Et c’est pour ces locataires, actuels ou à venir, que la Fédération des offices publics de l’habitat (OPH) a décidé de combattre l’article 52 du projet de loi de finances 2018.
Alain Cacheux est président de la Fédération nationale des offices publics de l’habitat.
Des compensations sont bien proposées… Elles permettraient de mieux financer les investissements en améliorant les conditions de prêts. Mais encore faut-il que les organismes puissent emprunter ! Pas moins de 204 d’entre eux ne le pourront plus dès 2018 [2]. En touchant aux recettes des organismes, on réduit les possibilités d’emprunts, donc d’investissement… C’est un cercle vicieux qui s’installerait alors, entraînant rapidement de nombreux organismes à réduire la qualité du service rendu aux habitants.
En effet, pour un office HLM, 90 % de ses recettes proviennent des loyers qu’il perçoit. Des recettes qui ne servent pas à grossir un capital. Non, ces fonds servent exclusivement à entretenir, à rénover et à construire des logements sociaux. Le gouvernement parle d’une cagnotte, de réserves accumulées. Quel intérêt aurait un organisme HLM à thésauriser alors que l’ensemble de ses moyens doit être reversé au logement social ? [3].
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La stratégie logement du gouvernement ambitionne de « construire plus, mieux et moins cher ; de répondre aux besoins de chacun et protéger les plus fragiles et améliorer le cadre de vie ». Autant d’ambitions que les OPH partagent et poursuivent depuis longtemps. Mais comment construire plus quand on rabote vos recettes et, donc, vos capacités de financement ? Comment protéger les plus fragiles quand les offices qui logent les plus pauvres [4] seront encore plus impactés par la baisse des loyers, puisque plus on loge de personnes bénéficiant de l’APL plus on perd de recettes !
On dit aussi les organismes d’HLM trop nombreux : il y avait 290 OPH il y a dix ans, 253 aujourd’hui. La rationalisation du tissu est déjà en marche et doit tenir compte des besoins des territoires : les offices y sont ancrés. Leur conseil d’administration est constitué en majorité d’élus de leur collectivité de rattachement, leur garantissant une gouvernance démocratique.
Dans les territoires détendus, où la déprise démographique se conjugue à la déprise économique, ils sont souvent les derniers grands opérateurs de services publics. Vu d’un bureau parisien, un OPH du centre de la France est inutile ? Qui va alors, quand il n’y aura plus d’outil local, prendre en compte les spécificités des territoires et œuvrer pour participer à la reconquête des centres-villes, adapter les logements aux jeunes et permettre aux personnes âgées de rester à leur domicile ? Qui va construire les maisons de santé ?
En zone tendue, c’est la rénovation urbaine, vitale pour améliorer la vie et apaiser les tensions urbaines, qui va être fragilisée. Dans le premier programme de rénovation urbaine (PRU), les offices ont injecté 2 milliards de fonds propres pour réaliser près de 13 milliards de travaux ! Avec l’article 52, ils ne les auront plus ! C’est remettre en cause leur rôle d’acteur du pacte républicain qu’ils revendiquent. C’est leur capacité à accroître une offre nouvelle accessible aux plus modestes qui est également mise à mal.
Nous avions cru que la création d’un ministère de la Cohésion des territoires marquait la volonté de réduire les fractures territoriales. Funeste erreur ! En menaçant l’existence des offices, l’article 52 menace un des outils de la cohésion sociale et de l’aménagement du territoire.
Cet article est donc mortifère. C’est une remise en cause brutale et profonde du logement social en France. Son modèle économique est sans doute imparfait et doit évoluer. La Fédération des OPH que je préside en est consciente et travaille, avec des directeurs généraux d’OPH, à de meilleures synergies entre offices pour améliorer leurs performances. Mais le projet de loi de finances tel qu’il est présenté aujourd’hui obère toute perspective d’avenir. C’est pourquoi il faut retirer l’article 52.
[1] Soit la quasi totalité de leur capacité d’autofinancement.
[2] Au moins 122 offices et 82 entreprises sociales pour l’habitat (ESH) auront une exploitation déficitaire dès 2018 (source : fédérations des OPH et des ESH).
[3] La trésorerie disponible est au total d’un milliard d’euros en 2015 (pour 2 500 000 logements). Elle permet, par effet de levier, de réaliser 8 milliards d’investissements (source DIS 2015).
[4] Sept locataires sur 10 logés par les OPH ont un niveau de revenu très proche ou inférieur au seuil de pauvreté (source : OPS 2016).
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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