Violences sexuelles : « Nous sommes dans une période de transition »

Selon l’avocate Carine Durrieu Diebolt, l’évolution des mentalités ne suffit pas. Il faut aussi faire évoluer le droit et mieux former les personnels de la justice.

Malika Butzbach  • 25 octobre 2017 abonné·es
Violences sexuelles : « Nous sommes dans une période de transition »
© photo : SYLVAIN THOMAS/AFP

Spécialisée dans les violences faites aux femmes, Carine Durrieu Diebolt a notamment défendu Sarah, 11 ans, qui a eu une relation sexuelle avec un homme de 28 ans. Parce qu’elle a suivi l’agresseur et est restée sidérée, le parquet, dans l’audition du 26 septembre, n’a pas retenu la contrainte ou la surprise qui auraient permis de qualifier le viol, ce qui a donné lieu à une indignation populaire. C’est le consentement, défini comme l’accord volontaire que donne une personne à son partenaire, qui détermine s’il y a agression. L’avocate revient sur cette notion et les questions juridiques que posent les violences faites aux femmes.

L’actualité le montre, les affaires de violences faites aux femmes sont plus médiatisées et soulèvent le débat. Pensez-vous que les mentalités sont en train d’évoluer ?

Carine Durrieu Diebolt

Avocate, membre de l’Association nationale des avocats de victimes de dommages corporels

Carine Durrieu Diebolt : Effectivement, il y a une sensibilisation plus forte. Pour le cas de ma cliente, je ne m’attendais absolument pas à cette vague médiatique. Le fait que de nombreuses personnes connues se soient déclarées victimes a pu libérer la parole. De même, un travail d’éducation est fait par de nombreuses associations et organisations. J’ai des clientes qui ont porté plainte après avoir vu des spots de sensibilisation : à titre d’exemple, elles ignoraient qu’une pénétration digitale est un viol. Il reste que, même si les mentalités semblent évoluer, seules 10 % des victimes de viol déposent plainte pour l’instant. À mes yeux, on est dans une période de transition, et de nombreuses questions restent à se poser.

Les textes juridiques français font-ils mention de la notion de consentement ?

Le code pénal, qui définit les violences sexuelles, ne mentionne pas le consentement. Il y a trois qualifications juridiques possibles : les atteintes et agressions sexuelles, qui sont des délits, et le viol, considéré comme un crime. Pour qu’il y ait viol, il faut qu’il y ait eu pénétration sexuelle. La définition est large : une fellation non consentie est un viol aux yeux de la loi. L’agression sexuelle ou le viol doit s’accompagner de violence, contrainte, menace ou surprise. On parle aussi de contrainte morale, pour les enfants qui sont intimidés et subissent une pression morale, et de contrainte physique, comme tenir sa victime pour qu’elle ne s’échappe pas. Il y a aussi l’élément intentionnel qui entre en compte : est-ce que l’agresseur était conscient que la victime n’était pas consentante.

La convention d’Istanbul, ratifiée en 2014 par la France, change-t-elle la donne ?

Ce texte européen prévoit que « le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte de circonstances environnantes ». Ce qui aboutit à une répartition différente de la charge probatoire. En France, le principe de présomption d’innocence implique que c’est à la victime de prouver qu’elle n’était pas consentante : jusqu’à preuve du contraire, son consentement est présumé. En droit : la preuve d’un fait négatif est quasiment impossible, c’est donc à celui qui allègue un fait positif d’apporter la preuve. En ce qui concerne les violences sexuelles, il s’agit de prouver l’acte sexuel, ainsi que les circonstances qui l’entourent, à savoir les violences, contrainte, menaces ou surprise. Ce n’est pas le cas au Canada, où la charge des preuves est inversée : les magistrats doivent rechercher dans les dossiers à juger le consentement de la victime. Je pense qu’il y a un équilibre à trouver entre le ressenti de la victime et celui de l’agresseur. On pourrait parfaitement répartir la charge de la preuve différemment entre les parties, tout en respectant le principe de la présomption d’innocence.

Dans ces conditions, la question des peines se pose-t-elle aussi ?

Dans la loi, la peine maximale pour viol est de quinze ans, vingt ans en cas de viol aggravé. Personnellement, je ne suis pas très répressive, mais je comprends qu’il puisse y avoir un sentiment d’injustice. Je repense à un dossier au tribunal militaire, où le parquet avait retenu les faits d’agressions sexuelles répétées mais avait écarté le viol digital. Le procureur a requis trois ans dont deux avec sursis et un aménagement de la peine. Il y a de fortes chances que l’agresseur n’ait que du sursis. Si les peines ne sont pas très lourdes, c’est peut-être aussi en raison d’une tolérance sociale actuelle des violences sexuelles. Ajoutons aussi que les prisons sont saturées… Les agresseurs sexuels sont obligés de se voir proposer des soins, mais dans 85 % des cas, ils sont dans le déni. Il faut aussi se poser la question de l’évaluation du préjudice de la victime : les indemnisations sont fixées a minima. On a l’impression qu’il y a une sous-estimation de l’impact du viol sur la victime.

Il y a les textes et la pratique. Pensez-vous que la formation des professionnels amenés à gérer ce genre d’affaires est un enjeu ?

Actuellement, c’est un peu la loterie. Certains policiers sont très bien formés, d’autres pas du tout. Depuis peu, il y a des formations initiales sur les violences sexuelles à l’École de la magistrature. Les anciens, eux, se voient proposer une formation continue mais sur la base du volontariat. Personnellement, j’ai suivi cette formation continue et je l’ai approfondie avec un diplôme universitaire sur les violences faites aux femmes. Je l’ai fait car lorsque les premiers dossiers me sont arrivés, j’ai senti que je passais à côté de quelque chose. La connaissance est pluridisciplinaire dans ce domaine et il est nécessaire de maîtriser plusieurs disciplines juridiques – droit pénal et droit du dommage corporel –, ainsi que la psychologie des victimes et des agresseurs. Maintenant, je comprends mieux les mécanismes psychologiques de la victime, la sidération et la dissociation, je sais quoi dire ou ne pas dire aux victimes. Il y a aussi la dimension post-traumatique à prendre en compte.

C’est aussi le cas des policiers qui reçoivent les plaintes et mènent les enquêtes ?

Tout à fait. Il suffit de voir parfois les conditions dans lesquelles les victimes portent plainte : une de mes clientes a fait trois commissariats avant que sa plainte soit enregistrée. Et même dans le troisième, elle a dû attendre quatre heures. Elle me disait que si elle n’avait pas été accompagnée, elle serait partie avant d’être reçue. Il y a un autre problème aussi, c’est la correctionnalisation de ces crimes : on estime entre 50 à 70 % les viols déclarés traités comme des délits, on parle de déqualification pénale. Dans ces cas-là, l’enquête est faite de manière plus rapide et moins approfondie. C’est le cas de la petite fille que je défends : lors des deux heures d’audition, on lui a posé en premier lieu 31 questions sur son usage des réseaux sociaux, elle s’est évidemment refermée. Lors d’une audition, il est très important de mettre l’enfant à l’aise, de le traiter comme un enfant et comme une victime, d’où l’enjeu que représente la formation des policiers.

Ces réformes peuvent-elles aussi s’effectuer au sein de la structure judiciaire ?

Après les formations spécifiques en droit des victimes, on peut aussi penser à des chambres spécialisées sur ce sujet. Les viols sont en principe jugés en cours d’assises, qui sont saturées. Les procès durent plusieurs jours, ce qui implique un coût financier et, pour la victime, c’est aussi une épreuve. À l’opposé, les tribunaux correctionnels ne conviennent pas. Le viol est alors jugé entre une conduite en état d’ivresse et un vol de scooter, à la va-vite. Peut-être peut-on prévoir des chambres intermédiaires allégées et spécialisées en la matière, tout en conservant la qualification criminelle pour les viols. Cela permettrait un traitement mieux adapté et donc plus juste. Mais, là, on se heurte à un problème de fond : le budget alloué à la justice en France est l’un des plus bas d’Europe. On retrouve cet obstacle dans toutes les dimensions de la justice.

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