Aude Rossigneux (Le Média) : « Il y a de la place pour tout le monde »
Aude Rossigneux, rédactrice en chef du Média, défend ici la singularité de la web télé qui sera en ligne en janvier.
dans l’hebdo N° 1477 Acheter ce numéro
Journaliste politique (Le Point, L’Express, France 2, France 5), grand reporter au Parisien Magazine, Aude Rossigneux est coauteure de Confessions d’une taupe à Pôle emploi (Calmann-Lévy, 2010), sélectionné meilleur ouvrage sur le monde du travail par le Toit citoyen dans la catégorie « Salariés ». Rédactrice en chef du Média, qui sera lancé le 15 janvier, elle en explique le modèle économique et la ligne éditoriale.
Quel est le public visé par Le Média ?
Aude Rossigneux : Nous espérons attirer les citoyens qui se reconnaissent dans « Le Manifeste », publié fin septembre dans Le Monde, à l’origine de la création du Média, lesquels attendent un site d’info ouvertement progressiste, humaniste, féministe, antiraciste et écologiste. Nous serons généralistes, c’est-à-dire que notre public trouvera de l’information quotidienne, avec le journal de 20 heures, des programmes culturels et éducatifs, des formats politiques – avec notamment une émission consacrée à la droite –, mais aussi du sport, de la musique et très probablement de la cuisine, puisque c’est là également un enjeu social majeur.
Quel modèle économique quand on est un média de gauche ?
Il est assez nouveau : il s’agit de proposer un média qui soit citoyen non seulement par son contenu, mais aussi parce qu’il appartiendra à l’ensemble des citoyens. Le 11 octobre, sur la plateforme lemediatv.fr, nous avons lancé une levée de fonds. Le principe est que chacun puisse acheter une part du Média en devenant « socio » à partir de 5 euros [1]. Non seulement ces parts ne sont pas cessibles, mais il n’est pas possible d’en posséder plus de 500. Il n’y a donc aucun risque qu’un oligarque vienne racheter toutes les parts pour faire la loi. Dans un paysage où 90 % des médias français appartiennent à une poignée de milliardaires, ça change !
Quel effectif et quel statut pour les journalistes du Média ?
Le nombre de journalistes dépendra de la réussite de la levée de fonds. Nous partons sur une dizaine de recrutements, en CDI dans la mesure du possible. Nous aurons également un volant de pigistes et un réseau de correspondants, notamment parmi les journalistes citoyens.
Qu’est-ce qui vous distinguera de titres comme Mediapart, Le Ravi, Reporterre ou encore Arrêt sur images ?
Nous sommes un média audiovisuel et nous aurons un journal quotidien à 20 heures. Jusqu’ici, la presse citoyenne alternative n’avait pas proposé ce format. Ce sera notre différence majeure, mais, en termes de fond, les contenus seront également différents. Nous ne serons pas Reporterre, parce que nous ne traiterons pas uniquement d’écologie et de développement durable. Nous ne serons pas Mediapart, parce que nous ne sommes pas particulièrement versés dans l’investigation : nous avons plutôt choisi la pédagogie et ce qu’on appelle le « slow news », soit le fait de prendre le temps de s’arrêter sur une info et de la traiter sous plusieurs angles, y compris à froid – il s’agit en somme d’en finir avec la dictature de l’urgence. Nous ne serons pas non plus Le Ravi, parce que nous ne sommes pas un journal satirique. Enfin, nous ne serons ni Arrêt sur images ni Acrimed, parce que notre contenu sera généraliste et que nous nous intéresserons à d’autres sujets que la déconstruction médiatique.
En tout état de cause, nous ne nous percevons pas comme concurrents des médias citoyens et indépendants, lesquels ont ouvert la voie avant nous. Je pense sincèrement qu’il y a de la place pour tout le monde. Nous sommes fiers d’entrer dans la famille, et nous le ferons avec humilité.
Comment prétendre à l’indépendance quand Sophia Chikirou, à l’origine et à l’arrivée du projet, est directrice de communication d’un mouvement politique ?
L’indépendance n’est pas une option, c’est une obligation. Le Manifeste a été signé par des personnalités qui vont de Philippe Poutou à Eva Joly en passant par Noël Mamère ou Arnaud Montebourg. Plus de 42 000 signatures s’y sont ajoutées sur change.org. Ces gens ne seront pas les idiots utiles d’un média militant ! De toute façon, si Le Média devient le bras armé de Jean-Luc Mélenchon, il tiendra quinze jours. Les gens nous rejoignent et nous soutiennent parce qu’ils ont envie d’entendre une voix libre, pas de la propagande. D’ailleurs, il me semble que la France insoumise est déjà bien équipée en la matière.
En ce qui me concerne, j’engage personnellement ma crédibilité professionnelle : il n’est pas envisageable, ne serait-ce qu’une seconde, que je renonce à ma carte de presse et à mon indépendance journalistique. Sophia Chikirou n’est pas rédactrice en chef, et les journalistes seront regroupés, au sein du Média, dans une structure indépendante établie sur un modèle d’agence de presse. À part les membres de la rédaction, personne n’aura son mot à dire sur notre contenu et notre ligne éditoriale.
Enfin, à ceux qui douteraient malgré tout, je donne rendez-vous le 15 janvier à 20 heures pour notre premier journal quotidien : vous nous jugerez sur pièces.
www.lemediatv.fr gratuit et accessible à tous.
[1] Depuis le 11 octobre, Le Média a collecté 810 000 euros et réuni 6 800 « socios ».
Aude Rossigneux Jounraliste politique, rédactrice en chef du Média.
- Médias : L’indispensable regard critique
- Ivan du Roy (Bastamag) : Incarner un contre-pouvoir
- Michel Gairaud (Le Ravi) : Choisir de qui on dépend
- Valentin Gaillard (Pour Politis) : Parole de lecteur…
- Edwy Plenel (Mediapart) : La liberté de l’information contre l’absolu de l’opinion
- Hervé Kempf (Reporterre) : La liberté court encore
- Pascal Massiot (Radio Jet FM) : Échapper au risque insidieux de l’autocensure