Hommage aux « sentinelles »
Le documentaire de Pierre Pézerat met en lumière le combat des victimes de l’amiante ou des pesticides pour obtenir réparation.
dans l’hebdo N° 1477 Acheter ce numéro
Dans les années 1970, le combat contre l’amiante fait ses premiers pas en France. Les consciences se réveillent petit à petit, notamment chez les ouvriers travaillant dans des usines de filature d’amiante. Les images d’archives d’Amisol, à Clermont-Ferrand, font froid dans le dos : les salariés passent leurs journées sur des machines et dans des allées recouvertes d’un épais manteau blanc, la poussière d’amiante. Idem dans l’usine d’Eternit à Terssac, dans le Tarn. Le film de Pierre Pézerat, Les Sentinelles, raconte la lutte pour faire interdire cette fibre que l’on vantait comme miraculeuse, mais dont les dangers pour la santé, connus depuis la fin du XIXe siècle, étaient gardés secrets par les industriels.
C’est également l’histoire de la rencontre entre le monde ouvrier et le monde scientifique, en la personne d’Henri Pézerat, père du réalisateur. Le toxicologue a été l’une des premières sentinelles sur le sujet, d’abord depuis son bureau, sur le campus de Jussieu, puis dans les usines. Lanceur d’alerte, il a par la suite fait le lien entre la dangerosité de l’amiante et celle des pesticides, notamment à travers l’histoire de Paul François, agriculteur en Charente, intoxiqué au Lasso, un désherbant de Monsanto. Henri Pézerat a toujours incité les victimes à se constituer en associations pour demander des comptes aux industriels qui les ont empoisonnés.
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La sincérité du documentaire tient aux témoignages, souvent très forts, de ces ouvriers de l’amiante, ces agriculteurs ou ces salariés d’usines agroalimentaires, sans rien cacher des émotions ressenties dans ce combat : la détermination du Collectif amiante de Jussieu ; la tristesse et la rage quand les pensées convergent vers les collègues décédés de cancer ; la souffrance d’une veuve qui ne pardonnera jamais à Eternit de lui avoir pris son mari ; le désarroi des salariés de Nutréa-Triskalia, intoxiqués par des céréales volontairement gorgées de pesticides, et qui doivent désormais vivre au quotidien avec une hypersensibilité chimique multiple (MCS). Le film parvient à éviter le pathos en montrant les moments de joie intense, notamment lors de victoires judiciaires et pendant les assemblées générales des associations. Car certains ont retrouvé leur dignité en luttant.
Le réalisateur n’a pas donné la parole aux industriels, mais leur ombre plane derrière chaque témoignage, chaque maladie, chaque larme. « Des industriels sont capables de mettre la vie de personnes en danger, de tuer au nom du profit ! », s’indigne Paul François, résumant en une phrase le système machiavélique des entreprises d’amiante ou de pesticides. Un film poignant, nécessaire pour mettre en lumière, en toute simplicité, cette histoire sans fin qui s’étire sur des décennies et ces victimes restées invisibles et silencieuses trop longtemps.
Les Sentinelles, Pierre Pézerat, 1 h 31.