Laurent Wauquiez : Le fou du Puy

Autocrate cassant, Laurent Wauquiez conduit en Auvergne-Rhône-Alpes une politique réactionnaire, anti-écolo et antisociale. Enquête sur le probable futur président des Républicains dans son « laboratoire de la droite dure ».

Olivier Doubre  • 29 novembre 2017 abonnés
Laurent Wauquiez : Le fou du Puy
© photo : Franck CHAPOLARD /AFP

Q uand ton président de Région se dit gaulliste mais que, pour lui, l’histoire de Vichy se résume au thermalisme… Bienvenue en Auvergne-Rhône-Alpes ! » C’est avec cette accroche que s’ouvrent « Les Wauquiezeries », rubrique du site Internet du Rassemblement des citoyens écologistes solidaires (RCES), qui regroupe les élus d’Europe Écologie-Les Verts, du Parti de gauche, de Nouvelle Donne et d’Ensemble ! au conseil régional. On ne compte plus, en effet, les déclarations à l’emporte-pièce et les comportements brutaux du président Laurent Wauquiez, arrivé en janvier 2016 à la tête de la nouvelle macro-région, née de la fusion aux forceps des deux anciennes collectivités qui avaient pour capitales Clermont-Ferrand et Lyon [1].

« On ne sait jamais trop quel Laurent -Wauquiez on va trouver ! », ironise ainsi Corinne Morel Darleux, l’une des porte-parole du groupe RCES, élue du Parti de gauche. « Il joue beaucoup à souffler le chaud et le froid, quelquefois mielleux, plus souvent autoritaire et cassant. Notamment en public, en sessions plénières, avec ses propres vice-présidents ou élus de sa majorité. Mais il est surtout très bavard : alors que nous devons batailler pour obtenir une minute supplémentaire de temps de parole, il prend un grand plaisir à nous couper le micro à la première seconde de dépassement, pour ensuite se permettre un tunnel de vingt minutes où il disserte sur des sujets parfois sans rapport avec l’objet du débat, comme dans un meeting… »

C’est que le personnage, à 42 ans, aussi pressé qu’ambitieux, ne supporte pas la contradiction, ni même une timide critique. Il est ainsi sorti de ses gonds à plusieurs reprises face à des journalistes, dans des termes frôlant l’insulte, et continue de refuser toute invitation des réseaux locaux de France Bleu ou de France 3. Dans son camp, mieux vaut ne pas se risquer à tenter de défendre une sensibilité différente, sous peine de perdre de précieuses subventions régionales. « Il ne recule devant rien, tout en étant intelligent et bosseur, poursuit Corinne Morel Darleux. Il est en train de se donner les moyens de ses ambitions présidentielles, à partir de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qu’il conçoit comme son laboratoire. »

De fait, Laurent Wauquiez règne sans partage sur « sa » région, après avoir usé des mêmes méthodes à la mairie du Puy-en-Velay, sur laquelle il veille toujours de près en y ayant placé son adjoint aux Finances (que peu imaginaient à cette fonction) : toutes les décisions et les arbitrages sont le fait du prince ou de quelques rares vice-présidents. La porte-parole du groupe RCES souligne comment le président a supprimé nombre d’instances intermédiaires, notamment pour l’attribution des subventions octroyées par la Région : « C’est même une constante de sa politique, et il se vante beaucoup de ces suppressions, au nom de “l’efficacité”, pour décider seul ou avoir un élu à lui qui décide seul, sans qu’on sache jamais sur quels critères. » Disparaissent ainsi, peu après sa prise de fonction, divers syndicats de communes, conseils culturels ou contrats territoriaux.

Élu EELV depuis 2004, Jean-Charles Kohlhaas est l’autre porte-parole du groupe RCES : « Laurent Wauquiez est un homme qui ne croit absolument pas à l’intelligence collective. Je n’ai jamais vu ça… J’avais souffert de l’autocratisme de Queyranne [prédécesseur PS de Laurent Wauquiez à la présidence de la Région, NDLR], mais là, c’est puissance mille ! On vit une sorte de déviance dictatoriale : il dirige tout, en quasi-solitaire. À tel point que, pendant les dix-huit mois qui ont suivi son élection à la tête de la Région, aucun de ses vice-présidents n’a eu de délégation de signature ; aujourd’hui, seul l’un d’entre eux, parmi les plus proches évidemment, en aurait finalement obtenu une ! »

Des pratiques qui dénotent une conception plutôt singulière de la démocratie régionale : « En public, il va contredire sans ménagement les membres de sa majorité, qui se taisent immédiatement, sachant qu’il ne faut surtout pas le fâcher. Il écrase tout débat et empêche le délibératif. En fait, notre assemblée à la Région n’est plus qu’une chambre d’enregistrement ! Wauquiez se comporte en petit empereur, non sans un narcissisme exacerbé. Il suffit d’ailleurs d’aller sur le site de la Région : les photos de lui sont omniprésentes. »

La marque de fabrique du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes est celle d’un clientélisme assumé, érigé en système. Tous les témoignages – y compris chez les (rares) élus de droite qui osent dire leur désapprobation – convergent en ce sens. Les subventions régionales seraient distribuées au bon vouloir du président, sans concertation, ni suivi, ni évaluation. Laurent Wauquiez a ainsi réorienté des centaines de milliers d’euros en direction de ses « protégés » : les communes dirigées par ses amis politiques – devenant ainsi d’autant plus dépendants – et ses alliés dans la société civile. « Il subventionne fortement les chambres d’agriculture, toutes (sauf une) dirigées par la FNSEA, ou les fédérations de chasse, qui ont reçu quelque trois millions d’euros », rappelle ainsi Corinne Morel Darleux.

Mais c’est la bonne ville du Puy-en-Velay de l’ancien maire qui recueille une part conséquente de la manne, à commencer par plus de 100 000 euros pour accueillir, l’été dernier, le Tour de France. Ce sont aussi plus d’un demi-million d’euros qui ont été alloués au « Puy de lumière », un parcours lumineux célébrant le patrimoine de la vieille ville, ou encore la rénovation du stade pour plus de 2,5 millions d’euros, financée à près de 80 % par la Région. La chorale de la célèbre cathédrale du Puy a également bénéficié de 35 000 euros l’an dernier [2]. La Région finance enfin une myriade d’associations catholiques, à l’instar d’Espérance banlieues, réseau d’écoles privées dont les élèves, en uniforme, commencent leur journée par un salut au drapeau… Rien d’étonnant, en fait, de la part de celui qui s’est longtemps affiché avec le très réactionnaire député de la Drôme Hervé Mariton, avec qui Wauquiez jouait des coudes pour figurer sur les photos du carré de tête à la Manif pour tous.

Enfin, le syndicat étudiant UNI, fortement marqué à droite, a bénéficié de plusieurs dizaines de milliers d’euros censées aider à « l’insertion professionnelle des étudiants » d’Auvergne-Rhône-Alpes. Si la réalité de cet attrait soudain pour le syndicalisme suscite beaucoup d’interrogations, le soutien de l’UNI est sans doute bien utile à Laurent Wauquiez pour sa campagne au sein des Républicains.

En arrivant à l’hôtel de la Région, le nouveau responsable de l’exécutif avait eu, sourire aux lèvres, cette phrase sympathique : « Je vais débarrasser notre région des bobos écolos ! » Au passage, il faut souligner le caractère très récent de sa passion pour un terroir où il ne passe que quelques jours par semaine – ambitions nationales obligent, notamment pour la prise de pouvoir au sein de LR, dont il devrait remporter l’élection dès le premier tour, le 10 décembre, avec son slogan sans ambages : « La droite est de retour ». Et rappeler l’embauche – signalée par des échos dans la presse – d’un coach expert en « parler local » pour ce rejeton du très chic VIIe arrondissement de Paris.

Fort de sa connaissance du terroir, donc, Laurent Wauquiez a coupé les subventions « à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une association, militante ou non, de défense de l’environnement ». Jusqu’à « celles des parcs naturels régionaux ! », s’insurge Corinne Morel Darleux. En revanche, la Région a consacré 20 millions d’euros (à terme, 32 millions) à l’achat de canons à neige pour les stations de ski des Alpes. Non sans « certains soupçons de prises illégales d’intérêts, en tout cas de liens assez troubles, puisque Gilles Chabert, patron de l’École du ski français et administrateur de la Compagnie des Alpes, fait partie de l’exécutif Wauquiez en tant que délégué à la montagne, le seul directement rattaché au président. Une enquête est aujourd’hui en cours, car j’ai saisi le procureur de la République de Lyon, explique la porte-parole du groupe RCES. Mais une importante délégation de la Région s’est rendue à Shanghai pour apprendre aux Chinois à faire des stations avec des canons à neige… »

Ce système clientéliste a causé de nombreuses victimes collatérales. Avec des coupes budgétaires, principalement dans les domaines de la culture, du social et de la formation professionnelle (dont le budget a diminué de plus de 15 % en deux ans). Dans le secteur de l’écologie, les subventions auraient diminué d’au moins 50 %, avec une suppression totale de celles accordées aux regroupements d’agriculteurs bio, à la branche régionale de l’ONG France nature environnement (qui faisait notamment de l’éducation à la protection de l’environnement dans les écoles) ou encore à la coordination régionale des Amap. « Au total, dans le secteur associatif et de la protection de l’environnement, ce sont plus d’un millier d’emplois qui ont été supprimés depuis janvier 2016 », résume Jean-Charles Kohlhaas. Mais c’est certainement le secteur culturel qui a subi la plus terrible saignée puisque, soupire l’élu EELV, « la seule chose qui trouve grâce aux yeux de Wauquiez, c’est la défense du patrimoine, surtout s’il s’agit d’églises et qu’elles sont proches du Puy ! ».

Pour les nombreux acteurs culturels de la Région, « tout a changé très vite et très brutalement, dès son arrivée. Alors qu’il y avait à la Région des services extrêmement compétents, ceux-ci se sont entendu dire par un des nouveaux vice-présidents que “ce ne sont pas les fonctionnaires qui vont faire la politique culturelle”… La directrice de la Culture a d’ailleurs démissionné dans la foulée », nous confie – sous couvert d’anonymat – un directeur de compagnie théâtrale. Notre interlocuteur souligne aussi « l’omerta et la terreur qui règnent désormais aussi bien dans les services que chez mes collègues directeurs dans tous les domaines du spectacle. Malgré le soutien des services, notre subvention a été diminuée d’un coup de près de 25 % dès la première année, nous contraignant à licencier notre seul permanent. Pour nous, c’est une sorte de condamnation ».

Les salariés de la fonction publique territoriale ont également subi la brutalité du très Parisien autocrate du Puy. Ils se souviennent tous de l’arrivée du nouvel exécutif, début 2016. Mépris, humiliations publiques, décisions arbitraires, réorganisations des services à la serpe, mais aussi burn-out et départs volontaires : les témoignages sont légion. Les syndicats voient alors défiler les salariés dans leurs bureaux. Secrétaire du syndicat CGT des personnels, élu de plusieurs instances représentatives, Jérôme Fiorentino se souvient : « On nous a dit, grosso modo, qu’on ne savait pas travailler et qu’on allait apprendre ! Avant de découvrir, par une indiscrétion dans la presse locale, que les cuisiniers des lycées faisaient de la m… »

Les fonctionnaires territoriaux entendent surtout une musique nouvelle aux forts accents de management du privé, puisque les services sont réorganisés pour améliorer « la productivité ». Si ces remaniements prévoient des créations de postes, « une bonne partie n’a pas été pourvue, et les annonces n’ont pas même été publiées. On nous a dit que les personnels seraient recrutés au gré des besoins. » Mais on constate surtout des baisses d’effectifs, qui frappent d’abord des contractuels non remplacés et autres précaires. Ce qui fait dire à une élue CGT : « Nous vivons une sorte de plan social déguisé ! » Rien que pour les lycées, l’une des principales compétences de la Région, on compte près de 800 agents de moins depuis janvier 2016. « Cette violence dans les rapports sociaux et cette absence totale d’écoute des personnels sont révélatrices d’une conception du dialogue social, souligne Jérôme Fiorentino. Et, quand on affaiblit ainsi le service public, cela donne de bonnes raisons de le contourner ou de le dévoyer… »

Notre directeur de compagnie, qui craint pour l’avenir de sa structure, est, comme beaucoup de ses collègues, abattu par cette gestion aussi réac que violente. « Il se construit un bastion dans une région où, certes, tout s’est toujours construit en baronnies féodales. Mais celles-ci n’ont pas toujours été synonymes de gestion brutale, certaines étaient même éclairées. Wauquiez, c’est tout le contraire. Tout ce qui lui importe, c’est de bétonner son château ! » Avec sans aucun doute un désir d’ascension et un strabisme obstiné vers Paris. Jean-Charles Kohlhaas l’observe avec attention depuis près de deux ans et n’a aucun doute sur ce point : « Il vise toujours plus haut et n’est jamais satisfait. Il se pense le meilleur du monde et il est terriblement orgueilleux. C’est sans doute ce qui en fait un personnage dangereux…

[1] La Région conserve officiellement un siège dans chaque ville, même si beaucoup disent que, dans celui de Clermont-Ferrand, « on croise de moins en moins de monde dans les couloirs ».

[2] Ces chiffres nous ont été livrés pour la plupart par Corinne Morel Darleux et Jean-Charles Kohlhaas.

Politique
Temps de lecture : 12 minutes