Nicolas Hulot : Une longue série de reculades
Nicolas Hulot enchaîne les renoncements et s’englue dans un jeu d’équilibriste qui désarçonne les ONG et les citoyens.
dans l’hebdo N° 1478 Acheter ce numéro
J e ne recule jamais ; parfois, je patiente un peu », déclarait Nicolas Hulot le 15 octobre, dans Le Journal du dimanche. Si, pour le ministre de la Transition écologique et solidaire, il s’agit de patience, pour les associations, ce serait plutôt de la prudence. « Des promesses mais pas de concret », répètent-elles à chaque annonce. Depuis six mois, il accumule les dossiers sur son bureau mais la pile des reculs est plus haute que celle des victoires.
En première ligne, le Ceta, jugé « non climato-compatible » par Nicolas Hulot en 2016. « J’étais très inquiet, et je le suis toujours. Ce sont des traités qui nous exposent au lieu de nous protéger », déclarait-il au lendemain de la signature du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, en septembre dernier. Les risques pour la santé et l’environnement, notamment l’exportation de pétrole issu de sables bitumineux canadiens, ou l’arrivée sur le marché européen des OGM, seraient évités par la mise en place d’un « veto climatique ». Son but : veiller à ce que les mesures destinées à limiter le réchauffement climatique ne soient pas attaquées dans le cadre de l’accord économique. Mais cela « exigerait un nouvel accord avec le Canada. Ni le Canada ni l’Union européenne n’ont l’intention d’ouvrir de nouvelles négociations », dénonce le collectif Stop Tafta.
Patienter pour mieux avancer ?
Nicolas Hulot justifie sa « méthode » dans un long entretien au média en ligne Reporterre (Reporterre.net, 13 novembre). Aux questions qui gênent – des « reculs » (loi hydrocarbure, Ceta, taxe sur les transactions financières, contournement autoroutier de Strasbourg, nucléaire, etc.) –, le ministre oppose trois ou quatre attitudes clés : « qu’on arrête de promettre des choses qu’on ne tient pas, parfois irréalisables », « parfois, il faut patienter pour mieux avancer », « sans brutalité, mais avec une détermination totale », « on se serait fait retoquer, avec des millions d’euros de pénalités ».
Faut-il y voir une forme de sagesse citoyenne ou d’impuissance ? Le refus d’aller au rapport de force ou la stratégie patiente de la tortue ? On aimerait croire que Nicolas Hulot inaugure une rupture vertueuse dans la manière de faire de la politique. Mais comment ne pas s’étonner de ce que le ministre, au nom de la légalité, mette autant de scrupules à ne pas léser les intérêts économiques (« je préfère quelques accommodements quand la loi ou le droit m’y obligent », face aux pétroliers qui veulent continuer à exploiter les énergies fossiles), et aussi peu de scrupules à balayer précipitamment la loi de transition énergétique quand les intérêts du nucléaire lui sont imposés.
Patrick Piro
Résultat : des dérogations pour les compagnies qui ne rentreraient pas dans leurs frais d’ici à 2040. Des arguments économiques retenus au détriment des considérations sociales et environnementales. « Nous soutenons l’objectif du texte, car nous avons besoin de concret. Mais, même sur un texte symbolique (la production d’hydrocarbures en France ne représente que 1 % de la consommation), il ne va pas jusqu’au bout ! », poursuit Juliette Renaud.
Par ailleurs, le ministère a donné son feu vert à la prolongation d’un permis d’exploration d’hydrocarbures offshore au large de la Guyane, détenu par Total. Un « arrêté symptomatique des limites du projet de loi Hulot » pour 350.org, Les Amis de la Terre France, Attac France et les collectifs Non au gaz et pétrole de schiste et au gaz de couche.
« On savait que Nicolas Hulot aurait une marge de manœuvre limitée, mais on sent une grande frilosité, une sorte d’autocensure », glisse Juliette Renaud.L’impression qu’il serait constamment seul contre tous persiste : face à Macron sur la mine d’or en Guyane, face au ministre de l’Agriculture concernant les aides à l’agriculture biologique, la coordination des États généraux de l’alimentation ou l’autorisation de deux insecticides « tueurs d’abeille », ou encore face à l’Allemagne sur les perturbateurs endocriniens…
Sur ce dernier dossier, le ministre a capitulé en acceptant une définition laxiste de ces substances poisons. « C’est un problème technique, à l’échelle européenne, donc nous n’avons certainement pas toutes les données. Cela peut expliquer sa prudence, analyse Michel Dubromel, président de France nature environnement. Mais, en face, il y avait une attente de la population en termes de santé publique. On lui reproche d’avoir été trop gentil avec un interlocuteur, l’Allemagne, qui bloque depuis le début les efforts pour aller vers une législation contraignante a minima. »
Un faux pas que Nicolas Hulot ne compte pas reproduire avec le glyphosate. Même si l’interdiction définitive immédiate n’est pas envisagée, il reste ferme sur la prolongation à trois ans maximum de la licence de l’herbicide. « Et c’est le premier ministre à avoir dit aux agriculteurs que c’est un problème de santé publique, et qu’ils doivent évoluer », précise Michel Dubromel, qui reconnaît « le courage politique » sur ce sujet.
Face aux revendications, Nicolas Hulot a développé un réflexe imparable : l’expertise indépendante. C’est notamment le cas pour l’épineux dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dont le verdict devrait être dévoilé en décembre, mais aussi pour répondre aux mobilisations citoyennes contre « l’usine verte » de Montreuil, qui intoxiquerait un quartier de la ville, ou à celles contre les projets d’explorations minières en Bretagne.
Certaines ONG qui pensaient avoir un allié indéfectible au ministère déchantent. « J’étais assez étonnée, et même choquée, qu’il n’y ait aucune concertation avec des associations sur le projet de loi hydrocarbures, alors que nous ne sommes pas si nombreuses à maîtriser ce sujet, souligne Juliette Renaud. C’est comme si Hulot considérait qu’il connaît déjà le point de vue des ONG, donc qu’il n’y a pas besoin de les consulter. C’est décevant. »
« Ma ligne rouge, c’est l’instant où je me renierai », confiait Nicolas Hulot au Monde. Cette liste de reculades reflète-t-elle des reniements personnels ou la dure réalité du système politique et économique dans lequel l’écologie a peu de place ?