Patrick Simon : « Défendre la synthèse de la diversité culturelle »

Patrick Simon, directeur de recherche à l’Ined, oppose au modèle républicain d’intégration la construction nécessaire d’une cohésion des différences, en accord avec les dynamiques sociales.

Patrick Simon  • 15 novembre 2017 abonné·es
Patrick Simon : « Défendre la synthèse de la diversité culturelle »
© photo : SIMON GUILLEMIN / HANS LUCAS

La dénonciation permanente d’un « péril » musulman révèle le malaise de la société française face à ses transformations profondes. Cette fixation sur la diversité culturelle cristallise les angoisses et les peurs provoquées par la globalisation capitaliste, la déconstruction de l’État social et l’émergence d’une égalité plus effective entre les minorités ethno-raciales ou religieuses et la majorité historique. Même une certaine gauche de transformation sociale est entrée dans un dérangeant chorus avec les milieux les plus réactionnaires : derrière la défense de la laïcité, elle disqualifie les luttes contre les dominations racistes, sexistes ou coloniales.

La diversité culturelle n’est pas une donnée nouvelle en Europe, particulièrement en France, mais elle atteint des niveaux sans précédent dans les grands centres urbains. Surtout, elle se produit pour la première fois dans le cadre du projet politique et intellectuel de l’État-nation. Or, celui-ci implique une vision homogénéisatrice de la culture nationale et des identités, qui montre ses limites quand la société devient proprement multiculturelle. Dans le cas français, c’est en fait le modèle républicain d’intégration, désormais confronté aux conséquences contemporaines de son projet expansionniste colonial et impérialiste aux XIXe et XXe siècles, qui est en crise profonde.

Il faut donc interpréter les théories du « grand remplacement » comme une position de combat devant la perte de privilèges. Aux déplorations des déclinistes, il ne faut pas répondre en niant les indéniables changements démographiques, mais en défendant la synthèse de la diversité culturelle. La proportion de résidents européens ayant des origines non européennes n’a jamais été aussi importante… et alors ?

Le vrai problème est de construire de la cohésion dans la diversité au sein d’une société dont le message politique historique est d’obtenir la cohésion à travers l’uniformisation. La défense de ce modèle est aujourd’hui assurée par les milieux souverainistes de tous bords politiques, qui, au nom de l’universalisme ou du « génie propre de la nation », entendent faire entrer la diversité aux forceps dans une vision uniforme de la société française. Les forces de gauche se fourvoient quand elles assimilent l’égalité à la réduction de l’expression des différences, requalifiées de « communautarismes » – le logiciel politique de la France insoumise est ambivalent sur cette question.

Les controverses sur l’islam en France se tiennent dans cette économie politique de l’assimilation : être musulman signifierait se mettre « volontairement » en décalage par rapport à une norme quasiment civilisationnelle. Au fond, la question posée est celle des prérequis nécessaires pour avoir le droit de participer à la société : quels particularismes (port du voile, régime alimentaire, pratiques sociales…) sont compatibles avec la vie collective ? Et qui doit en décider ?

En réalité, ce contexte de guerre culturelle, attisée par des formations politiques et des fractions particulières des médias et des milieux intellectuels, ne se retrouve pas dans ces termes dans les rapports sociaux quotidiens. Sur le terrain, les dynamiques sociales sont plutôt du côté du compromis et de l’acceptation. Dans les centres urbains multiculturels, en dépit des conflits que cela engendre parfois, la banalisation de la diversité des pratiques et des références est très avancée.

À lire aussi dans ce dossier :

Derrière l’affaire Ramadan, le vrai débat

Le « grand remplacement », un mythe à déconstruire

« Islamo-gauchisme » : « Un signe de délabrement du débat »

Le voile, parce qu’elles le veulent bien

Société
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

« Il existe une banalisation des pratiques non conventionnelles de soin »
Entretien 17 avril 2025 abonné·es

« Il existe une banalisation des pratiques non conventionnelles de soin »

Donatien Le Vaillant, chef de la Miviludes, revient sur le dernier rapport d’activité de la mission interministérielle, révélant une augmentation continuelle des dérives sectaires entre 2022 et 2024 en matière de santé.
Par Juliette Heinzlef
« Avant, 70 % des travailleurs géraient la Sécu. Aujourd’hui, c’est Bayrou. Voilà le problème »
La Midinale 16 avril 2025

« Avant, 70 % des travailleurs géraient la Sécu. Aujourd’hui, c’est Bayrou. Voilà le problème »

Damien Maudet, député LFI-NFP de Haute-Vienne, auteur de Un député aux urgences aux éditions Fakir, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
L’atelier Missor dans le moule du combat civilisationnel
Enquête 16 avril 2025 abonné·es

L’atelier Missor dans le moule du combat civilisationnel

Ce lieu d’apprentissage de la sculpture et de la fonderie, populaire sur YouTube, est devenu un outil de promotion idéologique pour la droite et l’extrême droite. Début 2025, l’entreprise s’est retrouvée au cœur d’une affaire judiciaire impliquant la mairie de Nice.
Par Zoé Neboit
Face au fichage de « Frontières », les collaborateurs parlementaires exigent des mesures concrètes
Entretien 11 avril 2025 abonné·es

Face au fichage de « Frontières », les collaborateurs parlementaires exigent des mesures concrètes

Après la publication du média d’extrême droite visant plusieurs collaborateurs de députés, une mobilisation inédite s’est tenue à l’Assemblée nationale. Manon Amirshahi, secrétaire générale de la CGT-CP, revient pour Politis sur les dangers que font peser ces pratiques et les revendications portées par les organisations syndicales.
Par Maxime Sirvins