Pourquoi l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera abandonné

Début décembre, la commission de médiation doit remettre son rapport sur ce projet ardemment combattu depuis plusieurs années. Une façon de l’enterrer – enfin – en y mettant les formes ?

Patrick Piro  • 29 novembre 2017 abonné·es
Pourquoi l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera abandonné
© photo : LOIC VENANCE/AFP

Cinquante ans. Un demi-siècle d’attente. C’est le délai que les habitants de la région de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) auront dû concéder aux pouvoirs publics avant de voir scellé le sort d’un projet d’aéroport né d’ambitions mirifiques à la fin des années 1960. Remisé cependant pendant plus de deux décennies, ranimé à la fin des années 1990 sous l’aiguillon d’enjeux politiques locaux, il est devenu, depuis cinq ans, le point de ralliement d’un impressionnant mouvement d’opposition implanté partout en France.

Plus de 40 ans d’opposition

  • Décembre 1973 : création de l’Adeca, association d’agriculteurs locaux.

  • Novembre 2000 : création de l’Acipa, association de citoyens (3 500 adhérents, 50 000 signataires)

  • Septembre 2003 : création de la Coordination des opposants (plus de 50 organisations).

  • Du 3 au 9 août 2009 : camp « action climat » sur le site.

  • Novembre 2009 : création du CéDpa, association d’élus (un millier).

  • Juillet 2011 : création du Copain 44, avec des agriculteurs du département et au-delà.

  • Été 2011 : rassemblement de politiques opposés au projet sur le site : C. Autain, M. Billard, J. Bové, C. Duflot, E. Joly, N. Hulot, etc.

  • Du 11 avril au 8 mai 2012 : grève de la faim d’habitants sous le coup d’une expulsion.

  • Le 17 novembre 2012 : manifestation de réoccupation de la ZAD (40 000 personnes) après l’opération d’évacuation « César ».

  • Avril 2013 : mobilisation « Sème ta ZAD » des occupants pour multiplier les cultures.

  • Le 22 février 2014 : grande manifestation à Nantes (50 000 personnes, 520 tracteurs), entachée de violences.

  • Le 9 janvier 2016 : plus de 25 000 personnes bloquent le périphérique nantais.

  • Le 27 février 2016 : plus de 50 000 opposants bloquent les quatre-voies Nantes-Vannes et Nantes-Rennes.

  • Le 26 juin 2016 : consultation des électeurs de Loire-Atlantique. Globalement minoritaire (45 %), le « non » fait désormais jeu égal avec le « oui » dans l’agglomération nantaise.

  • Le 8 octobre 2016 : rassemblement de soutien à Notre-Dame-des-Landes pour contester la légitimité de la consultation de juin 2016, alors que le gouvernement a annoncé le démarrage des travaux.

  • Juin 2017 : Nicolas Hulot lance une mission de médiation pour examiner les arguments de toutes les parties. Elle doit rendre son rapport en décembre. Le ministre décidera ensuite du sort du projet d’aéroport « avant Noël ».

Début décembre, après cinq mois d’auditions, la commission de médiation investie par Nicolas Hulot remettra son rapport. Le ministre de l’Écologie se prononcera alors sur le sort du projet. L’imagine-t-on un instant endosser un arbitrage gouvernemental confirmant l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ? Scène surréaliste pour celui qui s’en affiche opposant depuis longtemps, et qui vient de manger son chapeau, il y a trois semaines, en reculant sur la fermeture des réacteurs nucléaires [1]. Le « premier écologiste de France » démissionnerait avant d’en arriver à cette humiliation. Un fiasco politique à coût élevé pour Emmanuel Macron, qui n’a aucune raison d’y consentir.

Car la contrepartie potentielle s’est considérablement amenuisée depuis l’automne 2012. À cette époque, l’opération « César » (un millier de gendarmes mobiles pendant un mois), diligentée par le Premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault, pro-aéroport en chef, échoue alors à « nettoyer » le site retenu pour le projet, devenu une ZAD – « zone à défendre » – occupée par des centaines d’opposants. Ils y sont aujourd’hui encore plus incrustés. Lancer une opération « César plus » ? La résistance serait acharnée. « Et les forces de l’ordre sont passablement fatiguées, occupées ailleurs par les missions de l’état d’urgence », souligne Julien Bayou, l’un des porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts (EELV).

L’abandon de l’aéroport est donc probablement intériorisé par Macron depuis qu’il a décidé de convaincre Nicolas Hulot d’entrer au gouvernement. Et la désignation d’une commission de médiation [2] ressemble fort à une échappatoire destinée à y mettre les formes. L’opération a pour premier effet d’archiver définitivement la « consultation pour avis » organisée en juin 2016. Le résultat, 55 % de « oui » à Notre-Dame-des-Landes, avait été brocardé par les opposants pour son manque manifeste de démocratie : seul le département de la Loire-Atlantique avait été appelé à voter sur ce projet estampillé « Grand Ouest ».

Surtout, les médiateurs ont été mandatés pour examiner les arguments de toutes les parties, donc ceux des opposants, très convaincants (voir ici). Une première que cette remise à plat : les gouvernements précédents l’avaient toujours refusée, égrenant une série de justifications variables (lire encadré ici), clamant in fine que « l’aéroport se ferait », en vertu d’une déclaration d’utilité publique (DUP) publiée le 10 février 2008.

Et les recours juridiques déposés par les opposants ? « Tous perdus », affirment les pro-aéroport. « Mais parce que les jugements s’appuient tous sur cette DUP que nous contestons depuis une décennie, rétorque Françoise Verchère, élue locale en première ligne des « anti ». Parce qu’elle a été prise sur la foi d’un mensonge : Notre-Dame-des-Landes s’imposait parce qu’on avait décrété “impossible” de s’en tenir à l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique. Or, nous démontrons le contraire. »

Économie, écologie, nuisances : le dossier officiel est mis à mal sur tous les volets. Et, sur le plan politique, sa position s’est considérablement dégradée. Les poids lourds qui défendaient le projet au cœur de l’État se sont tus – Jean-Marc Ayrault, le socialiste Jacques Auxiette, président de la région Pays-de-la-Loire, suivi par Bruno Retailleau (LR) au même poste, dernier fidèle lieutenant de François Fillon, Manuel Valls, etc. Et ni Emmanuel Macron ni Édouard Philippe ne sont pris dans le tissu des intérêts et des redevabilités politiques qui laissaient redouter, il y a peu encore, que NDDL puisse voir le jour par la seule intervention politique, contre tout bon sens économique et écologique.

Quant à la personnalité La République en marche la plus en vue de la région, il s’agit du président de l’Assemblée nationale, François de Rugy. « Je suis contre ce projet depuis plus de vingt ans. Aujourd’hui, il y a encore plus d’arguments qu’hier pour ne pas le faire », déclarait-il, mi-novembre.

« Je vois bien le Président donner son accord à un abandon sec et sans douleur de ce projet climaticide », lance Julien Bayou. À quelques jours de la tenue à Paris, le 12 décembre, de son sommet international sur le financement de la lutte climatique, « il récolterait nos applaudissements, même si nous savons que tout le mérite en revient aux paysans, zadistes, écolos, citoyens locaux qui luttent depuis des décennies ».

Françoise Verchère doute même de l’intérêt de Vinci, concessionnaire choisi, de s’accrocher à la réalisation de l’aéroport : « La CGT s’y oppose en interne, et l’industriel gagne bien sa vie, et sans risque, à Nantes-Atlantique, dont il a gratuitement obtenu la concession en 2010 dans l’attente d’un déménagement à Notre-Dame-des-Landes, qui ne deviendrait rentable qu’au bout de plusieurs années. » Reste l’hypothèse d’une énième « bêtise politique », redoute Geneviève Coiffard, militante « anti » de la première heure. « Peut-on l’écarter complètement avec un Président qui estime que sa volonté suffit pour renverser les tables ? »

[1] Voir ici.

[2] Composée d’Anne Boquet, ancienne préfète, de Michel Badré, ancien président de l’Autorité environnementale du Conseil général de l’environnement et du développement durable, et de Gérard Feldzer, ancien pilote de ligne (proche de Nicolas Hulot).

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