Retour d’un roi du funk
Le nouvel album du bassiste Bootsy Collins enchante par son entrain et sa générosité, embrassant plusieurs décennies de musique afro-américaine.
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En 1997, le Rock & Roll Hall of Fame, célèbre institution qui récompense les artistes de la musique populaire américaine, inscrit à son palmarès le génial collectif de funk Parliament/Funkadelic/P-Funk. Une quinzaine de musiciens entrent en scène. Il y a Bernie Worrell, le poète claviériste ; Garry Shider, le guitariste ; George Clinton, le leader/chanteur/compositeur aux dreadlocks colorées et à la cape de fourrure ; et Bootsy Collins, bassiste, arborant ses fameuses lunettes en étoiles, son chapeau et son inébranlable sourire.
« Je remercie tous les musiciens présents, s’exclame Clinton, et tous ceux qui ne sont pas là. » Comprendre : une bonne soixantaine d’artistes. Parliament/Funkadelic est cette masse de musiciens libres et inspirés – une véritable troupe – qui, dans les années 1970, en mêlant funk, gospel et rock, arts visuels et récits afro-futuristes, a redéfini les contours de l’art afro-américain.
Parmi les artistes du P-Funk, Bootsy Collins occupe une place particulière. Originaire de Cincinnati, il a fait ses premières armes, à 19 ans, chez James Brown. Il n’y reste que quelques mois, mais accompagne le chanteur sur certains de ses tubes : « Sex Machine », « Super Bad ». De Brown, Bootsy retient la rigueur. « C’est une chose d’être funky, dit-il souvent, c’en est une autre d’être funky et précis. » Lorsqu’il rejoint Funkadelic, en 1972, il insuffle au groupe le concept « brownien » du One : pour décoller, le funk doit frapper sur le premier temps de la mesure.
Avec Clinton, Bootsy Collins compose certains morceaux emblématiques du collectif (« Flashlight », « Mothership Connection »), prend la tête d’un groupe satellite auteur de grands disques, Bootsy’s Rubber Band, et endosse l’imagerie Funkadelic en multipliant les alter ego : Bootzilla, Casper the Funky Ghost.
Comme George Clinton, Bootsy Collins aura une carrière parfois tourmentée. Lors de la cérémonie du Rock & Roll Hall of Fame, l’amertume perce sous la joie, et les années de combat contre l’establishment sont perceptibles. Bootsy joue moins (deux disques seulement dans les années 1980), avant de se relancer avec l’appui de complices : le bassiste Bill Laswell, le groupe Deee-Lite.
La génération hip-hop jouera un rôle fondamental dans la résurrection des figures phares du groupe. Ice Cube ou De La Soul trouvent dans le P-Funk inspirations et samples. Bootsy Collins tourne en Europe. Il devient la coqueluche d’un public qui découvre souvent sur le tard les bases artistiques du rap.
Dans son dernier album, l’euphorisant World Wide Funk, Bootsy Collins fait le lien entre ses racines seventies et les apports hip-hop qui, depuis, ont modifié le paysage culturel des États-Unis. Le disque, riche en cuivres, en ligne de basses syncopées, en harmonies vocales, en solos de guitare, de batterie, de piano, est le résultat d’une production soignée, toute en nappes successives. Plongé dans ce magma, l’auditeur découvre à chaque écoute de nouvelles subtilités.
L’album comprend des bombes funk : son morceau d’ouverture, introduit par un texte hilarant signé Iggy Pop, ou son ode aux bassistes, « Bass-Rigged-System », où Bootsy est rejoint par Victor Wooten, Stanley Clarke et Alissia Benveniste ; « Come Back Bootsy », avec un Dennis Chambers inspiré à la batterie ; « Illusions », aussi, dans lequel on retrouve le rappeur Chuck D. On y entend de belles ballades dans la tradition du classique « I’d Rather Be With You », un hommage poignant à Bernie Worrell, décédé l’année dernière, et, chemin faisant, quelques flops. Parfois, Bootsy résiste mal à la tentation du morceau calibré « playlist » ; toutefois, même lorsqu’il y succombe, il reste fidèle à ce credo proprement funky : toujours offrir une musique ample et généreuse.
World Wide Funk, Bootsy Collins, Mascot Records.