Rideau de fumée sur le nucléaire
Selon plusieurs scénarios, il serait possible de fermer des dizaines de réacteurs sans compromettre la lutte climatique.
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Sortir du nucléaire en 2035 : le scénario des experts indépendants de l’association Négawatt a tracé en 2013 une trajectoire qui montre que l’ambition est possible [1]. À condition de réduire les consommations de manière importante et de miser résolument sur les énergies renouvelables. Pas de recette miracle dans cette trajectoire, mais une forte volonté politique pour éradiquer les gaspillages, privilégier les appareils les plus efficaces, faciliter l’essor de l’éolien, du photovoltaïque, de la biomasse, des énergies marines, etc. Négawatt a écarté les hypothèses irréalistes. Par exemple, il n’est pas planifié de développement massif de la voiture électrique, car les gisements de métaux essentiels à la fabrication des batteries sont limités.
Les experts, qui se défendent d’être des militants, ont reçu en avril 2015 l’appui indirect et inattendu de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Peu suspect de parti pris, l’organisme a étudié un scénario conduisant à une production électrique nationale 100 % verte en 2050 [2]. Et donc sans nucléaire, ce qui a valu à ce « brûlot » d’être enterré pendant plus d’un an par le gouvernement.
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Contrairement aux apparences, l’examen du dernier bilan annuel de Réseau de transport d’électricité (RTE) [3] révèle des tendances similaires, « ignorées par Hulot, qui fait une lecture réductrice et à contresens de ce document, finalement beaucoup plus cohérent avec les ambitions de la transition énergétique qu’on pouvait s’y attendre », analyse le consultant Yves Marignac, directeur de l’institut Wise-Paris. Exercice pratiqué tous les cinq ans, RTE a livré le 7 novembre (jour de la déclaration de Hulot) des prospectives à moyen terme. Quatre de ses scénarios se projettent à 2035, dont l’un débouche sur la couverture de 70 % de la consommation électrique par des renouvelables. Moyennant une priorité aux économies d’énergie, la réduction des exportations d’électricité et une montée en puissance des renouvelables, il trace un recul rapide du nucléaire, sans prolongation des réacteurs au-delà de 40 ans d’âge – limite qu’EDF entend faire sauter.
Et puis s’est glissé, au milieu de ce bouquet, un insolite scénario à 2025. « Isolé et visiblement “de commande”, c’est celui auquel se réfère Hulot pour conclure que l’on ne parviendra pas à faire tomber la part du nucléaire à 50 % ! », commente Yves Marignac. Une prospective aux paramètres ad hoc, ajustés de manière à aboutir au résultat souhaité, souligne Charlotte Mijeon, responsable de la communication du réseau Sortir du nucléaire, « à savoir la “nécessité” de relancer des centrales à énergies fossiles pour couvrir la demande en électricité du pays… »
Certes, le scénario le plus dénucléarisé de RTE en passe partiellement par là. « Mais il n’occasionnerait que 1 % de hausse des émissions de gaz à effet de serre du pays, largement compensable sur d’autres postes », estime Yves Marignac. Qui signale de plus que le scénario « 2025 » ne provoquerait que 2 % de hausse, et pendant quelques années seulement, « ce qui reste anecdotique sur l’ensemble du bilan climat ! ». Par ailleurs, la reculade de Hulot n’a suscité que très peu de remises en cause du principe même d’un repli du nucléaire, « une idée qui s’ancre », constate-t-il.
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Pour Charlotte Mijeon, ce grand raté dissimulerait l’embarras du gouvernement, coincé par sa volonté de ne pas prendre l’initiative. « Il comptait sur l’Autorité de sûreté nucléaire [ASN] pour lui fournir une liste de réacteurs à arrêter, atteints par la limite d’âge de 40 ans. » Or l’ASN a récemment repoussé sa décision à 2020-2021, semblant vouloir laisser du champ à EDF. Une date postérieure à l’adoption de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), prévue pour 2019. Ce qui expliquerait le but de l’opération chaotique dont Hulot a été l’instrument : libérer le gouvernement de la date butoir de 2025, qui l’aurait contraint à décider lui-même d’un calendrier de fermeture de réacteurs au sein de la PPE à venir.
« La proximité de l’échéance paralyse les décideurs », analyse Yves Marignac, qui estime même que ces tergiversations desservent in fine EDF. « Le temps joue contre l’entreprise, qui, plus que tout autre acteur, a besoin de visibilité pour décider de l’avenir de son parc nucléaire vieillissant. »
[1] Negawatt.org
[2] « Mix électrique 100 % renouvelable ? Analyses et optimisations », ademe.fr
[3] « Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France ».