Robert Hirsch, historique histrion
Cet acteur qui brûla les planches pendant soixante-dix ans était fait pour l’excès et la folie, dans la comédie comme dans la tragédie.
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Robert Hirsch, mort à 92 ans le 16 novembre à Paris, connut la gloire exclusivement par le théâtre. Au cinéma et à la télévision, il eut rarement des rôles importants. Les deux seuls films vraiment construits autour de lui, Pas seulement le samedi, d’Alex Joffé (1965), et Martin soldat, de Michel Deville (1966), ont laissé peu de traces dans les mémoires cinéphiliques. Mieux vaut se souvenir de quelques prestations secondaires, comme celle du trouble poète Gringoire dans l’adaptation de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo par Jean Delannoy, en 1956. En tout cas, c’est à la scène qu’il trouva son accomplissement et resta un acteur de premier plan pendant soixante-dix ans.
Pourtant, ce fils de directeur d’une salle de cinéma, né en 1925 à L’Isle-Adam, avait d’abord voulu faire de la danse, et il fit d’ailleurs quelques pas à l’Opéra de Paris. Mais il bifurqua tôt vers le Conservatoire d’art dramatique. Sa carrière, dès lors, se divise en deux chapitres : la Comédie-Française, de 1948 à 1974, et l’errance d’un théâtre à l’autre, de 1974 à 2016.
Au Français, Robert Hirsch s’impose très vite dans les deux registres de la comédie et de la tragédie. Faire rire est son penchant naturel. Il est vif, multiplie les jeux de mine, utilise une voix grave qu’il peut faire monter dans les aigus. Scapin et Sosie (dans Amphitryon) sont ses grands rôles, mais aussi le fameux Bouzin dans Un fil à la patte, de Feydeau : il atteint au grandiose en étant ce clerc de notaire sinistre, -malodorant, croyant avoir sa place dans un monde qui le rejette.
La camaraderie avec Jacques Charon, autre roi de la farce assumée jusqu’au délire, lui permet de participer à de nombreuses pièces du répertoire consacré aux folies bourgeoises. Mais, comme il y a en lui de l’inquiétude, de la noirceur, il se montre fort impressionnant dans les personnages de fous meurtriers : Richard III de Shakespeare, Raskolnikov dans Crime et Châtiment d’après Dostoïevski… On comprend que Georges Wilson l’ait invité à faire un écart du côté du TNP et de La Résistible Ascension d’Arturo Ui, où il est le double ridicule et glaçant d’Adolf Hitler.
La seconde partie de sa carrière sera plus chaotique. Jouant au petit bonheur la chance, il se consacre à des pièces de Pinter, Haïm, Boucicault, Guitry… Comme il avait joué un Ionesco, La Soif et la faim, au Français, il sait s’intéresser à Beckett en participant à En attendant Godot aux côtés d’Arditi, de Maréchal et de Dupuis. En fin de carrière, l’harmonie se fait avec Florian Zeller. Plongeant dans ce monde de la mémoire déchirée, trouée, hagarde que Zeller met en scène dans Le Père et Avant de s’envoler, il se montre tout à fait bouleversant, ayant su vieillir et accepter de jouer la vieillesse dans son aspect le plus pathétique.
Alors que l’évolution du jeu de l’acteur a plutôt tendance à privilégier l’intériorité et la nuance, Hirsch est de l’école ancienne, celle des « monstres sacrés » qui s’emparent du plateau et se jettent dans leur rôle sans garde-fou. Méticuleux, maniaque, difficile, il était de ces histrions qui aiment l’excès et le fracas, tout en conservant une exigence de tous les instants. Il était plus fait pour la représentation de la folie que pour celle de nos vies quotidiennes. On aimait ses performances en se demandant, comme pour un sportif : jusqu’où va-t-il reculer ses limites ?
L’une de ses grandes interprétations fut précisément celle d’un acteur dans la pièce de l’Allemand Tankred Dorst, Moi Feuerbach, qu’il joua au La Bruyère en 1989, dans une mise en scène de Stéphan Meldegg : Feuerbach est un comédien qui passe une audition face à un assistant ignorant et met en danger sa raison pour obtenir d’être, une nouvelle fois, un personnage imaginaire. Robert Hirsch, là, mettait le feu à cette folie de l’acteur qui consiste à être soi-même et toujours un autre.