Smartphone : la Terre au bout du fil

Durée de vie limitée, métaux rares à foison, peu de recyclage… Devenu un objet de surconsommation, le smartphone n’a toujours pas fait sa révolution écologique.

Vanina Delmas  • 22 novembre 2017 abonné·es
Smartphone : la Terre au bout du fil
Photo : Du minerai de cobalt, en République démocratique du Congo.
© Per-Anders Pettersson/Getty Images/AFP

On le veut assez fin pour tenir dans la poche, mais avec un grand écran, un design moderne, une mémoire d’éléphant pour stocker nos vidéos, le pouvoir de survie après un plongeon dans les toilettes… Et, éventuellement, le sceau verdoyant « éco-responsable » sur l’emballage. Le smartphone, vu comme l’objet technologique révolutionnaire du XXIe siècle, provient toujours de procédés industriels dignes du XIXe siècle et n’a pas intégré les données environnementales de notre époque : exploitations minières à l’autre bout de la planète, travail des enfants, émissions de gaz à effet de serre non limitées, produits chimiques dangereux, recyclage peu développé…

En dix ans, plus de 7 milliards de smartphones ont été vendus dans le monde, dont plus de 100 millions en France. Et, selon un rapport de Greenpeace, la consommation d’énergie de ces 7 milliards d’appareils représente quasiment l’usage électrique annuel de l’Inde. Or, les exigences des consommateurs se heurtent progressivement à l’épuisement des ressources terrestres. Près de 70 matériaux cohabitent dans ces appareils de plus en plus petits, et jusqu’à 50 métaux tels que le cuivre, l’aluminium, l’or, le lithium, le cobalt…

« La concurrence entre les marques ainsi que le désir du consommateur d’acheter moins cher jouent en défaveur de l’environnement. Être plus regardant sur la provenance des métaux et les critères de pollution au moment de la fabrication coûte de l’argent et de l’énergie aux entreprises, analyse Françoise Berthoud, ingénieure de recherche au CNRS et directrice du groupement de recherche Écolo Info. Certes, il existe un mouvement pour essayer d’adhérer à des consortiums qui font plus attention à la provenance des composants, mais cela reste flou et marginal. »

Peu d’entreprises, en effet, jouent le jeu de la traçabilité des minerais, notamment ceux dits « de conflit ». « L’extraction et le commerce d’étain, de tantale, de tungstène et d’or alimentent ainsi l’instabilité en République démocratique du Congo, dans la région des Grands Lacs africains, mais aussi en Amérique centrale et en Birmanie », détaille France nature environnement [1]. De leur côté, Les Amis de la Terre [2] soulignent que « la faiblesse du taux de recyclage réel (35 %), conjuguée à un renouvellement rapide, contribue à un renouveau minier en France et à l’étranger ». Exemples à l’appui : les méga-projets miniers de Las Bambas au Pérou, de Pachón en Argentine, de Bangka en Indonésie, où plus de 65 % des forêts et 70 % des récifs coralliens sont détruits par les mines d’étain, et où les habitants ont dû abandonner leurs activités dans l’agriculture, la pêche ou le tourisme. En France, le phénomène se concentre essentiellement en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, mais, depuis 2015, des permis de recherche minière ont été accordés en métropole, notamment en Bretagne.

Par lien affectif, paresse, ou parce qu’ils fonctionnent encore, les smartphones qui se sont succédé dans notre vie encombrent nos tiroirs. Or, ces condensés de technologie regorgent de produits toxiques : plomb, brome, chlore, mercure, cadmium… Sans oublier la batterie lithium-ion, qui justifie à elle seule l’étiquette « déchets dangereux ». Conformément à la directive européenne de 2012 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), 85 % des e-déchets (en poids) devraient être collectés et recyclés à partir de 2019, afin de recueillir des métaux comme l’or et l’argent, et aussi éviter des rejets de substances toxiques dans la nature.

En France, des points de collecte sont mis en place dans certains magasins ou déchetteries par les éco-organismes Éco-Systèmes et Écologic. Les téléphones sont alors envoyés dans des structures idoines pour y être reconditionnés ou recyclés.

« Recycler son smartphone ne suffit pas. Il serait plus efficace d’arrêter d’en acheter tous les deux ans et d’augmenter leur durée de vie », assure cependant Françoise Berthoud. Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), un usager change de smartphone en moyenne tous les vingt mois, alors que les produits ont une durée de vie de quatre ans – excepté les batteries. L’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) identifie trois leviers : l’obsolescence esthétique (publicité et marketing), logicielle (les mises à jour incompatibles avec les anciens modèles) et technique (il est quasiment impossible de réparer son téléphone soi-même).

La seule exception à ce jour : le Fairphone. En 2013, une entreprise néerlandaise propose un téléphone équitable, durable et réparable, car il se démonte facilement et les pièces détachées sont en vente. Dans son guide pour une high-tech responsable, Greenpeace lui attribue la meilleure note. Pour Françoise Berthoud, le Fairphone est « un moindre mal », mais « l’idéal serait de pouvoir se passer un peu plus d’Internet pour aller vers une sobriété plus générale, car les serveurs et les data centers représentent également une source de pollution importante ». Et, pour cela, une seule solution : déconnecter.

[1] L’Empreinte cachée des smartphones, France nature environnement, septembre 2017.

[2] Les Dessous du recyclage : 10 ans de suivi de la filière des déchets électriques et électroniques en France, Les Amis de la Terre, décembre 2016.

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Publié dans le dossier
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