Arrêtons d’investir dans la pollution !

Les ONG ne relâchent pas la pression sur les financeurs privés pour qu’ils cessent de soutenir les projets d’infrastructures liés aux énergies fossiles.

Vanina Delmas  • 6 décembre 2017 abonné·es
Arrêtons d’investir dans la pollution !
© photo : EMMANUEL DUNAND/AFP

Décembre 2015. La France accueillait à bras ouverts 195 pays prêts à en découdre avec le réchauffement climatique lors de la Conférence climat de Paris, la COP 21. L’urgence de limiter la hausse de la température du globe en dessous de 2 °C, voire, idéalement, de tendre vers 1,5 °C, était actée, et l’accord de Paris ratifié avec un enthousiasme quasi général. Deux ans plus tard, jour pour jour, la France convie une nouvelle fois les pays sur son sol pour trouver de nouvelles « réponses concrètes » lors du One Planet Summit, le 12 décembre (voir encadré). Un « sommet d’étape » dans lequel « il sera question de la manière dont les acteurs engagés dans la finance publique et privée peuvent innover pour soutenir et accélérer notre lutte commune contre le changement climatique ».

La finance, ce monde que le président français connaît bien, est un véritable serpent de mer des conférences climat. « Nous avons besoin que tous les acteurs financiers – publics, privés, nationaux, internationaux –, y compris les marchés et les régulateurs, travaillent ensemble pour mobiliser au moins 1 500 milliards de dollars de financement climatique chaque année », a rappelé Eric Usher, responsable de l’Initiative finance au Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue), lors de la COP 23, en novembre.

En marge du sommet, un groupe d’associations (dont Bizi, Attac, 350.org, Alternatiba, etc.) a lancé la campagne « Pas un euro de plus pour les énergies du passé [1] », afin de sensibiliser aux impacts dévastateurs de ces projets sur les populations et les écosystèmes, et de montrer que la société civile a déjà des solutions.

À voir >> Notre vidéo de la rencontre « La catastrophe climatique, un défi pour l’imagination, un défi pour l’action »

Fin du charbon ?

Trouver de nouveaux investissements est une bonne chose, mais les ONG se mobilisent depuis quelques années auprès des institutions publiques ou privées pour le désinvestissement total des énergies fossiles. Car, pour maintenir le réchauffement global sous la barre des 2 °C, il est vital de laisser 80 % des combustibles fossiles dans le sous-sol.

Des billets verts pour sauver la planète

« Verdir la finance », « réorienter les flux financiers vers une économie bas carbone », « identifier des voies de financements innovants », « renforcer la résilience et l’adaptation »… Sur le papier, le programme du sommet international consacré au financement de la lutte contre le réchauffement climatique du 12 décembre fait rêver.

À l’initiative d’Emmanuel Macron, ce One Planet Summit est organisé en partenariat avec Jim Yong Kim, président du groupe Banque mondiale, et Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU. Son objectif officiel : financer les promesses formulées il y a deux ans par les États lors de la COP 21, à savoir lever 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour soutenir les pays en développement. Pourtant, en septembre 2017, les engagements concrets ne s’élevaient qu’à 10 milliards de dollars. Et, lors de la COP 23 à Bonn, les plus gros désaccords concernaient la facture climatique !

Pour l’association Oxfam, ce sommet doit offrir « une séance de rattrapage aux pays riches pour dévoiler de nouveaux engagements financiers, à commencer par la France ». Emmanuel Macron ne cache pas son ambition de faire de la France un véritable leader de la finance verte. « Une finance au service des projets environnementaux, de la transition écologique, du financement des projets éoliens, de la recherche en matière de stockage des énergies renouvelables », a déclaré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, lors du 5e dialogue économique et financier de haut niveau entre la France et la Chine.

En 2015, plusieurs institutions internationales se sont sérieusement penchées sur la question. Les chiffres donnent le tournis. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) recensait près de 800 programmes de dépenses et allégements fiscaux dans ses 34 pays membres et dans les six grandes économies émergentes du G20 (Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Russie et Afrique du Sud) incitant à produire ou à consommer des combustibles fossiles. Total : 160 à 200 milliards de dollars par an, soit « plus d’argent que nécessaire pour atteindre les objectifs de financement climatique fixés à Copenhague en 2009, qui prévoyait la mobilisation de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 ». Plus éloquent encore, le Fonds monétaire international (FMI) a montré que la somme consacrée à soutenir les entreprises extractrices d’énergies fossiles s’élevait à 5 300 milliards de dollars par an, ou « 10 millions de dollars par minute ». Ses experts ont pris en compte les subventions directes, mais aussi le coût des dommages subis par les populations locales. Une défaillance du secteur public qui incite à se tourner vers le secteur privé. En ligne de mire : les banques.

« Depuis deux ans, les banques françaises ont évolué dans le bon sens : elles font partie des quatorze banques au niveau international qui ne financent plus directement de centrales à charbon ou de mines, et elles ont pris des engagements de réduction de leur soutien aux entreprises impliquées dans ces projets, reconnaît Lucie Pinson, chargée de campagne Finance privée pour les Amis de la Terre France. Mais ce n’est pas encore suffisant, leurs critères ne sont pas assez stricts. » En effet, l’Accord de Paris ne contraint pas les banques, elles choisissent elles-mêmes leurs critères. Ainsi, seule Natixis s’est engagée à ne financer aucun projet, quel que soit le pays d’accueil. Les autres ont ajouté une clause non négligeable : « dans les pays riches ». Une précision de taille puisque les pays riches ne représentent que 6 % des projets.

Le Pnue a récemment recensé plus de 6 600 centrales à charbon en activité (soit une capacité totale de 1964 gigawatts), et d’autres sont en construction dans des pays comme la Chine, l’Inde, la Turquie ou l’Indonésie. Pourtant, la prise de conscience grandit pas à pas. Fin 2014, la Société générale renonçait à un énorme projet minier de charbon dans le bassin de Galilée, dans l’Est australien, suivie par BNP Paribas et le Crédit agricole, sous la pression des ONG. Un geste fort, car l’exploitation de ce bassin aurait engendré 705 millions de tonnes de CO2 par an, presque autant que l’Allemagne.

Omerta sur le gaz

Si la mobilisation concernant le secteur du charbon commence à porter ses fruits, qu’en est-il des autres énergies fossiles telles que les sables bitumineux ou le gaz ? Un rapport publié début novembre par les Amis de la Terre France, BankTrack, Rainforest Action Network et neuf autres organisations, montre que 33 grandes banques ont accordé plus de 115 milliards de dollars de financements aux entreprises actives dans la production et le transport des sables bitumineux entre 2014 et 2017, notamment le Crédit agricole et la Société générale. Cette dernière accumule les mauvais points et se retrouve dans le collimateur des ONG depuis la découverte de son soutien au projet de construction d’un des trois terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), le Rio Grande LNG, situé au sud du Texas. Porté par l’entreprise Nextcade, ce projet s’étendra sur 400 hectares près de la frontière mexicaine, et prévoit d’exporter 100 millions de mètres cubes de gaz chaque jour. Les risques de pollution de l’air sont importants, tout comme ceux d’explosions dues aux fuites de méthane. La réserve naturelle nationale protégée de Laguna Atascosa, dans laquelle devraient échouer les terminaux, n’en sortira sûrement pas indemne, tout comme les peuples autochtones des Esto’k Gna, dont les droits sont en péril. Ils ont d’ailleurs lancé l’opération « Sauver la vallée du Rio Grande du gaz naturel liquéfié ».

Dans un communiqué, la banque française se défend en insistant sur son simple statut de « conseiller financier », et non de financeur direct. Or, le conseiller financier joue un rôle capital puisqu’il est chargé de monter le dossier pour trouver les financeurs indispensables pour réaliser ce terminal à 20 milliards de dollars. « Selon notre expérience, nous savons que la banque choisie comme conseiller financier sera sans doute le financeur, car son intérêt est de suivre le projet jusqu’au bout », glisse Lucie Pinson.

La qualification de gaz naturel est trompeuse lorsque celui-ci vient des États-Unis, car la majorité de la production est du gaz de schiste. Le forage nécessite le recours à la technique de la fracturation hydraulique, et donc l’utilisation de très grandes quantités d’eau, non recyclable car polluée par le processus. Conclusion, ces terminaux de GNL pourraient à terme apporter du gaz de schiste en Asie, voire en Europe. « C’est complètement incohérent que des acteurs français soutiennent ces projets alors qu’en France la majorité de la population est opposée au gaz de schiste et que cette technique est interdite », souligne Lucie Pinson. « Et, lors de leur assemblée générale, ils ont affirmé que participer à ce type de projets de GNL est une manière de contribuer à la transition énergétique, poursuit-elle. Or, ce projet émettra autant de CO2 que 44 centrales à charbon ! »

Une politique de l’autruche dont s’est détachée BNP Paribas, après une longue bataille des associations. En octobre dernier, la banque a annoncée mettre un terme aux financements directs de tout projet lié aux énergies fossiles extrêmes (sables bitumineux, gaz de schiste, forage en Arctique). Une élève presque modèle qui gagnerait quelques points supplémentaires si elle ne renouvelait pas son mandat de conseiller financier dans ce même projet de terminal Texas LNG. Reste à savoir si, à l’avenir, ces millions d’euros récupérés seront réinvestis dans les énergies renouvelables…

[1] Rendez-vous : le tribunal des peuples, le 10 décembre, à Montreuil (93). Rassemblement et action le 12 décembre, parvis des Droits de l’homme, à Paris XVIe.

Écologie
Temps de lecture : 7 minutes

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