Jérusalem : « La volonté du peuple américain »

La décision de transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem correspond à un étrange colonialisme mental.

Denis Sieffert  • 7 décembre 2017
Partager :
Jérusalem : « La volonté du peuple américain »
© photo : MOSTAFA ALKHAROUF / ANADOLU AGENCY

Pour le Secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, l’annonce du transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem ne fait qu’exprimer « la volonté du peuple américain ». Une étrange remarque qui souligne le colonialisme mental de l’administration Trump. Il semble tout naturel au chef de la diplomatie de Washington que le « peuple américain » décide du sort des Palestiniens, et pourquoi pas, demain, de tout autre peuple.

Encore faudrait-il s’entendre sur ce « peuple américain » sans doute limité au noyau dur de l’électorat de Donald Trump composé d’évangélistes chrétiens, sionistes parce qu’ils entendent imposer une lecture littérale des versets de la Bible qui affirment que Dieu a donné la Terre sainte aux juifs. C’est le même argument que l’on a entendu jeudi dans la bouche de l’ambassadrice d’Israël en France et que l’on retrouve dans la déclaration du président du Consistoire, Joël Mergui, qui se réfère « au lien plurimillénaire du peuple juif avec la Ville sainte » et « à la construction du premier Temple, il y a plus de trois mille ans ».

À lire aussi >> Trump terroriste

La décision de Trump et les arguments de ceux qui le soutiennent, en Israël et en France, nous renvoient à une logique religieuse et à une lecture littéraliste des textes sacrés. On ne manquera pas de remarquer que c’est la même logique qui alimente le discours des salafistes et des jihadistes. L’invocation d’un droit divin en lieu et place du droit international précipite le monde dans une impasse.

Le fanatisme des uns, fût-il policé par les apparences de la diplomatie, appelle le fanatisme des autres. Hélas, on peut prévoir que ni les manifestations qui ont commencé jeudi dans les territoires palestiniens, ni les protestations des pays arabes, de l’Iran et de la Turquie, ou de l’Union européenne, ne feront reculer Donald Trump. Ce sont donc des processus longs et profonds qui risquent de travailler non pas seulement la société palestinienne, mais tout le monde arabe.

Autant dire que Donald Trump a beaucoup fait pour le terrorisme. C’est d’ailleurs sans doute l’un des buts recherchés. Le transfert de l’ambassade, c’est aussi le transfert du conflit du terrain colonial au terrain religieux. Or, le conflit israélo-palestinien – dont on ne soulignera jamais assez la centralité – est évidemment d’abord de nature coloniale. Il s’agit pour Israël et son allié américain de fermer toute perspective au peuple palestinien pour le pousser au départ.

Cette agression morale s’accompagne d’une politique systématique d’expulsion et de harcèlement, surtout à l’encontre des Palestiniens de Jérusalem-Est. L’enjeu réel est démographique, à Jérusalem et dans l’ensemble de la Cisjordanie. La hantise des colons, c’est que leur avidité coloniale se retourne un jour contre eux si, d’aventure, la population juive se retrouvait minoritaire dans un espace entièrement « israélien » qui irait de la Méditerranée au Jourdain. Ce qui n’est nullement exclu.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Un des réalisateurs de « No Other Land » attaqué par des colons, couverts par l’armée israélienne
Reportage 26 mars 2025 abonné·es

Un des réalisateurs de « No Other Land » attaqué par des colons, couverts par l’armée israélienne

Lundi 24 mars, dans le village de Susiya en Cisjordanie occupée, une vingtaine de colons ont attaqué des Palestiniens, avec la complicité de l’armée israélienne. Parmi eux, Hamdan Ballal, coréalisateur du film No Other Land, récemment oscarisé. Passé à tabac et emmené de force par l’armée, il a finalement été libéré ce mercredi 26 mars.
Par Louis Witter
« Le retour des prisonniers politiques peut être la clef d’une réforme de la société palestinienne »
La Midinale 26 mars 2025

« Le retour des prisonniers politiques peut être la clef d’une réforme de la société palestinienne »

Alain Gresh, cofondateur de Orient XXI et auteur de Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir aux éditions Les Liens qui libèrent, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Bande de Gaza : la guerre, toujours
Reportage 26 mars 2025 abonné·es

Bande de Gaza : la guerre, toujours

Le 18 mars, Israël a rompu l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas et a repris ses bombardements sur l’enclave palestinienne, faisant plusieurs centaines de morts, dont de nombreux enfants. La trêve n’aura duré que deux mois, tandis que le nombre de civils tués s’élève à plus de 50 000 depuis le 7 octobre 2023.
Par Céline Martelet
« C’est François Hollande qui a fait basculer la France dans le soutien inconditionnel à Israël »
La Midinale 19 mars 2025

« C’est François Hollande qui a fait basculer la France dans le soutien inconditionnel à Israël »

Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart et auteur de Palestine, notre blessure aux éditions La Découverte, est l’invité de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien