Johnny, « c’était vraiment un enfant de la balle »
Johnny Hallyday a été inhumé après plusieurs jours d’hommages sur toutes les ondes. Reste sa musique. Témoignage d’un de ses musiciens, le saxophoniste Philippe Gobinet.
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Philippe Gobinet, saxophoniste, flûtiste, et joueur d’electric wind instrument, a joué dans l’orchestre de Johnny Hallyday pendant le Cadillac Tour. Un double DVD, Dans la chaleur de Bercy, a été enregistré à l’occasion, le 15 septembre 1990. Il raconte cette expérience et ses souvenirs du chanteur, qui s’est éteint le 6 décembre à 74 ans, après plus de cinquante ans d’une carrière qui a imprimé la culture populaire au point que même ceux qui ne l’écoutaient pas connaissent au moins quelques-unes de ses chansons.
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« S’il avait chanté en anglais, Johnny aurait fait une carrière “totalement” internationale. Mais il a fait une carrière plutôt francophone, même si des fans lui ont rendu hommage ailleurs. Produit d’une époque, avec les bikers et les fantasmes des Européens ruinés qui avaient les yeux rivés sur les États-Unis, il a démarré dans le rock & roll des années 1950. Il était inspiré par Eddie Cochran, Elvis Presley et Buddy Holly, eux-mêmes sous l’influence de Little Richard et de Fats Domino. J’ai en tête une photo de ce dernier avec Johnny, qui l’admirait mais était parfaitement à l’aise avec lui. Fats Domino le considérait d’ailleurs comme son égal. Idem pour Mick Jagger, et beaucoup de chanteurs qui étaient impressionnés par sa maîtrise et sa culture musicale. Johnny avait écouté énormément de musique, étudié la guitare et le violon, et il a pris des cours de chant relativement tard, sa voix ne s’est pas faite en claquant des doigts. Il avait un grand sens du rythme. C’était un grand professionnel.
Dans l’album Dans la chaleur de Bercy, qui compte 22 titres, il a composé certaines chansons : « Le Bon temps du rock’n’roll » et « La musique que j’aime ». C’était l’époque où Johnny interprétait des morceaux de Jean-Jacques Goldman, de Michel Berger, de Daniel Balavoine. On y trouve aussi des morceaux de David Hallyday, d’Étienne Roda-Gil, des Stones…
Je jouais du saxophone ténor dans son orchestre, qui comptait près de 80 musiciens dont une section de quatre saxophones, un batteur, un bassiste, deux claviers, quatre guitares, quatre choristes (trois Américaines et un Français harmoniciste), et Érick Bamy, choriste principal, ami et doublure de Johnny. Johnny était aux frontières du rock, du rhythm and blues et de la variété, avec des chansons adaptées sur des rythmes plus lents et plus dansants. Considéré d’abord comme un rocker, il est devenu un chanteur moins “spécialisé”, comme un Aznavour, ou un Bécaud.
Dans la chaleur de Bercy, c’est de la variété, mais avec un chanteur qui imprime sa personnalité. Ma chanson préférée, c’est celle qui ouvre le disque : « Je suis né dans la rue » (Long Chris, Mick Jones et Tommy Brown). Si je dois garder un seul souvenir de Johnny, c’est ça : c’était vraiment un enfant de la balle. Dans cette chanson, autobiographique, la légende se met à nu. Ça me touchait beaucoup et ça me touche encore.
Il était de droite comme souvent les gens qui accèdent à un très bon niveau de vie. Mais il est resté un enfant du peuple, né à l’époque où le peuple était plutôt de gauche. Il répétait peu avec nous, préférait se préparer seul, et laissait Érick Bamy, qui était un excellent chanteur, faire les répétitions et les balances. Il arrivait pour de rapides filages et là, sans changer les niveaux des micros, il faisait exploser le son ! Il avait une énergie phénoménale. On buvait une bière avant de monter sur scène. Il parlait de sa vie de tous les jours, il était très à l’aise, il connaissait tous ses musiciens et les respectait. C’était vraiment un grand chanteur populaire. Et, pour moi, c’était un authentique bluesman : il concentre ce que les masses populaires peuvent rencontrer comme tristesses, souffrances et joies. Il avait un truc pour les exprimer avec beaucoup de subtilité, dans les relations humaines et sur scène.
Il a enregistré près de mille titres. Je le réécoute avec beaucoup de plaisir, comme dans « L’Hymne à l’amour », de Piaf. Une de ses choristes américaines m’a dit un jour : « Tu sais, les grands interprètes comme lui, c’est comme des chevaux de course : ils ont un énorme poids sur les épaules. Ils portent d’énormes intérêts, et d’énormes dépenses. Il faut assumer. » C’est pas gagné : comment trouver la ressource pour donner à des foules ce qu’elles attendent, tous les soirs ? Je connais beaucoup de musiciens qui auraient rêvé de jouer avec lui, comme en 1991, place de la République, devant 400 000 personnes… »