Les demandeurs d’asile toujours plus maintenus hors d’Europe
À Abidjan, Emmanuel Macron a confirmé sa position vis-à-vis des demandeurs d’asile. Dans la lignée des mesures européennes d’externalisation des migrations, les droits fondamentaux sont en danger.
En convoquant une réunion d’urgence le 29 novembre en Côte d’Ivoire, Emmanuel Macron a voulu agir, et vite. Durant ce rassemblement entre l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU, il a notamment réaffirmé qu’il condamnait l’esclavage de migrants, les réseaux de passeurs et les trafiquants, les qualifiant de « crimes contre l’humanité ».
Pour Pauline Brücker, doctorante en sociologie des migrations à Science Po Paris et au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ), ce type de discours de protection des migrants n’est qu’un « écran de fumée ». Une sensibilité uniquement relative aux images diffusées par CNN de migrants vendus comme esclaves en Libye. Cette solution de rapatriement d’urgence cache un processus qui risque d’être « arbitraire et dangereux », met-elle en garde.
Parallèlement, le gouvernement français présentera dans les mois à venir une loi du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, qui permettra notamment à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) de refuser l’asile au demandeur qui aurait traversé un pays sûr pendant son voyage : il devra présenter sa demande dans ce pays.
Si ce texte ne définit pas quels seraient les pays jugés sûrs, un projet de règlement européen discuté actuellement à Bruxelles se veut un peu plus précis et entend adopter une liste commune de « pays tiers sûrs ». Mediapart en a révélé la dernière version le 29 novembre. Un pays serait considéré comme sûr si le danger n’y est pas généralisé sur tout le territoire et si la population n’est pas menacée dans sa totalité.
Ce projet de loi européenne est la combinaison de deux autres textes régionaux. Il est d’abord la continuité de la Convention de Dublin, née en 1990, mais mise à jour jusqu’en 2013. Elle stipule qu’un demandeur d’asile peut être exclu vers un pays de transit où il a été interpellé. Le futur texte européen s’inspire aussi de l’accord voté en 2016 entre l’UE et la Turquie, pays jugé « sûr » où les demandeurs peuvent être emmenés.
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« Déni du droit d’asile »
À l’instar des ONG et associations de défense des droits de l’homme, la Ligue des droits de l’Homme dénonce dans cette notion « un déni du droit d’asile » établit dans la Convention relative au statut de réfugié à Genève en 1951. Selon ce texte, le parcours individuel de la personne et les persécutions qu’elle a pu subir doivent être examinés dans toute demande d’asile.
La notion de « pays tiers sûr » n’est cependant pas un concept juridique international, mais une création de l’UE. Pour Pauline Brücker, cela ouvre la voie au renvoi dans des pays potentiellement dangereux pour les migrants :
La notion de pays sûr est malléable et le statut de réfugié est politisé. Il apparaît qu’en fonction des intérêts des uns et des autres, les demandeurs d’asile vont être considérés différemment.
La doctorante met aussi en garde contre la volonté de traiter les demandes d’asile de façon plus rapide et efficace. « Elles sont déjà de plus en plus pré-triées en fonction des nationalités d’origine et traitées par des procédures accélérées, qui sont quasi systématiquement synonymes de refus », détaille-t-elle. Les individus pourraient enfin être renvoyés sans que leur demande ait été évaluée. Ce qui représente une infraction au principe de non-refoulement de la Convention de Genève : un pays ne peut refouler un demandeur d’asile dans un pays où ce dernier estime que sa vie et sa liberté sont en danger.
Externalisation
Financer les pays africains dans la gestion des migrations, lutter contre les méthodes de migrations illégales et renvoyer les migrants dans un « pays tiers sûr » ou dans leur pays d’origine sont autant de mesures d’externalisation du traitement des demandes d’asile. « Il est toujours question de trouver des moyens de les envoyer hors d’Europe », dénonce Pauline Brücker. Les frontières de l’Union européenne continuent de se fermer. Notamment aux migrants venus d’Afrique, alors que s’accumulent les preuves du danger quotidien qui les menace, et alors qu’ils sont « majoritairement réfugiés ». Sous couvert de protéger les populations, l’objectif est de contrôler les migrations et de les tenir à distance du continent.
Résultat : ce processus d’externalisation met en danger les populations. Pauline Brücker explique que fermer une frontière n’empêche pas la migration, mais la déplace. Cela favorise les modes de déplacements illégaux, voire dangereux, comme le trafic d’être humains. Un crime dans lesquels l’Europe et la France ont une responsabilité, estime la doctorante.
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Parmi ses autres annonces à Abidjan, Emmanuel Macron a d’ailleurs indiqué vouloir continuer à aider la Libye à assurer la sécurité des individus désirant traverser la Méditerranée. Or cette aide européenne est destinée aux garde-côtes libyens « qui tirent à balle réelle sur les migrants pour les empêcher de traverser la Méditerranée », dénonce Pauline Brücker. « On sait pertinemment – et l’ONU a pu le vérifier – qu’ils participent eux-mêmes au trafic », expliquait à RFI Jean-François Dubos, chargé de la protection des populations pour Amnesty International France.
Les migrants sont vulnérabilisés, mais aussi privés de leur libre-arbitre, critique Pauline Brücker :
Cela pose la question du choix de ces personnes qui n’est aujourd’hui pas à l’agenda. On décide pour eux où ils vivront et où ils travailleront. Ils ne sont pas envisagés comme des êtres humains.
À l’heure actuelle, comme l’explique Mediapart, le règlement européen est toujours en négociation. Mais il n’y a aucune garantie que la protection des individus soit véritablement prise en compte.
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