Luttes sociales : Au-delà du socialisme…
Les luttes sociales ne sont pas dépassées, explique Michel Feher dans Le Temps des investis. Elles doivent juste s’adapter.
À l’heure où le capitalisme financier mondialisé semble avoir conquis la planète et toute son économie, posant là des problèmes fondamentaux – pour ne pas dire insolubles – à toute tentative de contester son emprise au nom de l’intérêt général ou, du moins, de celui des exploités, certains philosophes sont tentés, à l’instar de l’Allemand Axel Honneth, de faire renaître « l’idée du socialisme [1] ».
Socialisme ? Un beau nom autant qu’un somptueux projet… Qui ne voudrait y adhérer ou y souscrire ? Pire, qui y renoncerait ? Qui renierait la belle idée ? Peu de gens, certainement, puisque l’objectif demeure ô combien noble, voire incontournable.
Pourtant, le livre de Michel Feher, s’acharnant à penser cette « nouvelle question sociale », supposée totalement renouvelée face au capitalisme financiarisé qu’il s’agit d’affronter aujourd’hui, ne saurait se résigner à abandonner les luttes du passé : « Même si le travail n’est pas la substance politique susceptible d’être mobilisée pour contester l’hégémonie des investisseurs, la démarche et les méthodes jadis élaborées par le mouvement ouvrier, à la fois pour comprendre et pour combattre le pouvoir des employeurs, demeurent pertinentes pour relever le défi auquel les mouvements sociaux sont actuellement confrontés. »
Car, avec ce capitalisme financier, l’enjeu des luttes sociales se déplace de la répartition des revenus vers la valorisation du capital ou, comme le souligne Michel Feher, « de la distribution du profit à l’allocation du crédit ». Ce qui n’est pas sans conduire à la constitution d’une nouvelle subjectivité.
Vouloir ainsi réhabiliter l’idée du socialisme (ou du moins un « socialisme marxien », comme l’appelle de ses vœux Axel Honneth) peut donc – malheureusement – apparaître rétrograde. Dans le sens où, souligne Michel Feher, « on se bat avec une guerre déjà résolue, dès lors qu’on s’attaque au projet néolibéral, qui n’est pas celui qui avait été annoncé ».
Ce qui revient à dire que le socialisme ne peut être entendu, tel un pendant, qu’au sein de l’imaginaire du libéralisme capitaliste néoclassique ou fordiste. Comme on le verra, le propos de Michel Feher tente de dépasser un tel clivage. Non sans s’adapter à notre époque : celle du capitalisme financier tout-puissant.
[1] Cf. L’Idée du socialisme, Axel Honneth, traduit de l’allemand par Pierre Rusch, Gallimard, 184 p., 15 euros.
Le Temps des investis. Essai sur la nouvelle question sociale, Michel Feher, La Découverte, 192 p., 17 euros.