À Guérande, la fleur de sel au fusil

Dans les années 1970, les paludiers et leurs soutiens parviennent à contrer les appétits immobiliers et à sauver leur activité.

Vanina Delmas  • 24 janvier 2018 abonné·es
À Guérande, la fleur de sel au fusil
© photo : AFP/franck perry

À la fin des années 1960, un grand projet d’aménagement du territoire émerge des méninges politiques pour transformer le Grand Ouest de la France. La dynamique des Trente Glorieuses incite alors à développer le tourisme de masse. La presqu’île de Guérande et La Baule deviennent les cibles des promoteurs immobiliers, prêts à grignoter le littoral, et une grande partie des salinières sont absorbées par la Compagnie des Salins du Midi. Des acteurs économiques davantage intéressés par l’industrialisation et l’artificialisation des espaces que par l’artisanat.

Le savoir-faire des paludiers devait donc être enterré au profit d’une route à deux fois deux voies traversant les marais salants, de grands immeubles occultant la vue, d’un port en eau profonde et de marinas… Des projets symbolisant la modernité pour certains, notamment pour Olivier Guichard, à l’époque maire de La Baule et ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire. Mais la population locale se mobilise.

« Un noyau de paludiers s’est rapidement opposé à ces projets. Des jeunes de la région ou d’ailleurs sont venus les soutenir, se déclarant prêts à s’installer, car les fils de paludiers peinaient à prendre la relève », raconte Joël Quélard, engagé dans la lutte. Ce professeur de maths rejoint alors une troupe de théâtre et monte une pièce, Presqu’île à vendre, pour mettre en lumière les aberrations du dossier. Riverains, naturalistes, associations écologistes et universitaires s’allient aux paludiers et redoublent d’imagination pour s’opposer au projet. En 1971, avec la complicité des dockers de Saint-Nazaire, certains s’infiltrent dans la cale d’un cargo transportant du sel de la Compagnie des Salins du Midi pour y répandre des boules de naphtaline.

La médiatisation du combat s’étend, la solidarité se renforce et les municipalités, dont la plupart ont changé de bord politique, décident finalement de se retirer de ces chantiers pharaoniques. En 1972, un Groupement foncier agricole (GFA) permet d’installer les jeunes exploitants. Sept ans plus tard, un centre de formation est créé à destination d’une nouvelle génération de paludiers.

« Cette lutte a incité les paludiers à faire un vrai travail sur la qualité du sel, permettant la découverte de la fleur de sel, se souvient Joël Quélard. L’idée était aussi de créer une coopérative pour être maître de la vente, gérer les flux, apprendre à stocker et à relancer la production. » Cette coopérative existe toujours : Les Salines de Guérande. La résistance au projet a ainsi permis la sauvegarde d’une précieuse zone naturelle et d’un patrimoine, l’émergence d’un écotourisme et le développement d’un secteur économique jugé auparavant non compétitif.

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