Au Larzac, ça a marché…
Pour gérer l’après-Notre-Dame-des-Landes, pourquoi ne pas s’inspirer de l’heureux précédent de 1981 ?
dans l’hebdo N° 1487 Acheter ce numéro
Quand, le 3 juin 1981, quelques semaines après son élection, François Mitterrand annule le projet de camp militaire du Larzac lors d’un Conseil des ministres, nulle force de l’ordre ne stationne autour du territoire contesté. Et aucun politique de gauche ne disserte sur une différence de traitement à réserver aux paysans du plateau – rebelles depuis dix ans – et à ceux venus les rejoindre, occupant des fermes abandonnées pour relancer l’élevage ou l’agriculture.
Il ne restait plus aux « résistants », légitimes ou squatters, qu’à se donner les moyens de réaliser leur rêve : celui de se soustraire aux aléas de la spéculation foncière en devenant collectivement propriétaires et gestionnaires des 6 300 hectares qu’ils avaient sauvés. Et ce alors que la droite locale et nationale ainsi qu’une partie des médias se déchaînaient à leur encontre, à l’instar du député RPR de Millau, expliquant que les paysans allaient « installer un kolkhoze avec l’argent des Français ».
Quinze jours après l’élection présidentielle, avant l’annonce officielle du retrait du projet, quatre militants du Larzac, dont l’un des squatters, José Bové, avaient été reçus à Matignon, à l’Élysée, puis par le ministre de la Défense, Charles Hernu, ardent défenseur de l’extension du camp. Mais, quelques jours après l’arrivée au pouvoir des socialistes, le Premier ministre, Pierre Mauroy, avait nommé un conseiller spécial chargé de préparer la sortie de crise. Il s’agissait de Louis Joinet, un jeune juriste ayant participé à la création du Syndicat de la magistrature. Pour débloquer et accélérer les premières négociations hésitantes, les représentants des « 103 » – les paysans menacés par l’extension du camp – durent brandir la menace d’une grève de la faim devant l’Élysée. Les pourparlers aboutirent ainsi, en avril 1985, à la création de la Société civile des terres du Larzac (SCTL), pour la libre gestion des 6 300 hectares accordée aux anciens comme aux nouveaux paysans. Un bail emphytéotique que le ministre de l’Agriculture de François Hollande, Stéphane Le Foll, a prolongé en juillet 2013, et ce jusqu’à 2084. Cette surface s’ajoutait au millier d’hectares récupéré par les trois sociétés civiles de gestion du Groupement foncier agricole (GFA) du Larzac, lesquelles avaient entrepris, dès 1973, de racheter progressivement des terres et des fermes autour du camp militaire pour bloquer les expropriations lancées par la Défense afin de les attribuer au camp militaire.
« S’il a fallu quatre ans pour parvenir à une solution satisfaisante, même si nous n’avons pas obtenu la généralisation de notre modèle, c’est parce que le temps du droit n’est pas le temps politique et qu’il fallait résoudre de nombreux problèmes. Les services de l’État ne comprenaient pas qu’on laisse les paysans libres de gérer eux-mêmes la terre, et qu’il n’y aurait plus de propriétaires, mais simplement des paysans locataires de la SCTL », explique José Bové.
Dans cet épineux dossier, il fallait, entre autres, sortir de l’imbroglio de l’expropriation et identifier, sur les 450 propriétaires concernés, ceux qui souhaitaient reprendre leur bien. Plus complexe encore : attribuer un statut aux squatters désireux de devenir paysans au Larzac, régler leur situation vis-à-vis de la Safer [1] et de la Mutualité sociale agricole (MSA), définir leurs droits aux prêts du Crédit agricole. La solution fut d’accorder à ces occupants sans titre un bail d’un an renouvelable, avant qu’un accord définitif soit trouvé avec les « 103 ».
Ce ne fut pas une sinécure. D’abord avec Édith Cresson, ministre de l’Agriculture, puis avec Michel Rocard, qui prit la suite. Ce dernier facilita l’adoption de la solution rédigée par Louis Joinet, dont la teneur juridique avait été préparée conjointement par une équipe de paysans incluant José Bové. Dans les faits, peu d’obstacles politiques mais nombre de freins avancés par l’administration sur des bases très théoriques, arguant « qu’il n’y avait pas de précédent. »
Les occupants de Notre-Dame-des-Landes pourraient donc se prévaloir d’un précédent et de procédures qui ont réglé le bourbier du Larzac. Mais la situation y est différente. Non seulement parce que la surface disponible (1 600 hectares) est moindre, mais aussi parce que 800 hectares ont été achetés par un conseil départemental socialiste favorable à l’aéroport. Enfin, nul ne connaît aujourd’hui les intentions des expropriés ni celles des zadistes.
[1] Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.
À lire : Larzac, de la lutte paysanne à l’altermondialisme, Pierre-Marie Terral, Privat (2011). Du même auteur, Larzac, terre de lutte. Une contestation devenue référence, Privat (2017)
À lire aussi dans ce dossier :
• Notre-Dame-des-Landes : La ZAD se sent pousser des ailes