« Eataly » : Pasta et tutti quanti
Tableau de la cuisine italienne contemporaine, Eataly se veut un mélange savoureux de plats inscrits dans une histoire culturelle riche et diverse.
dans l’hebdo N° 1486 Acheter ce numéro
Voilà quelques semaines, dans la périphérie de Bologne, aux confins des zones commerciales et industrielles, était inauguré le Fico Eataly World. Un espace gigantesque dédié à la gastronomie, centre de conférences, animé d’ateliers et d’expositions didactiques, habillé de restaurants et de bars, gavé de produits, d’étals, de rayons. Sur une dizaine d’hectares, on le visite (gratuitement, après s’être acquitté de quelques euros pour la navette qui relie la gare à l’espace gourmand) à pied ou à vélo, passant d’un producteur à l’autre.
Sur place, on fabrique du fromage, des pâtisseries, des glaces, différents plats et spécialités, on propose des pizzas et des fruits de mer, des grillades, des vins, des bières artisanales. S’y ajoutent des élevages, des potagers, des plantations d’herbes aromatiques et même un espace truffier.
D’aucuns ont déjà qualifié les lieux de « Disneyland de la gastronomie ». Ça, c’est pour le côté parc d’attractions et son gigantisme. Il n’en reste pas moins un lieu pédagogique, regorgeant de produits d’exception vendus à des prix très raisonnables (bien moins élevés que ceux des magasins bio en France).
Imaginé par un entrepreneur italien, Oscar Farinetti, Fico Eataly (Fico étant l’acronyme de Fabbrica italiana contadina, soit « usine italienne paysanne », et signifiant également « figue » dans la langue de Dante), c’est une chaîne de magasins alimentaires plutôt de qualité, œuvrant notamment avec le mouvement Slow Food, implantée largement en Italie mais aussi en Chine et à New York, et bientôt en France, célébrant le savoir-faire agricole, fermier et culinaire, attentive au travail des producteurs.
Hasard du calendrier, quasi simultanément à cette inauguration dans une capitale de la gastronomie, paraît une bible de la cuisine italienne contemporaine (après La Cuillère d’argent, véritable encyclopédie). Eataly propose une vision moderne de la table transalpine, avec trois cents recettes signées par un collectif de chefs, partagées entre les antipasti, les soupes, les pâtes fraîches et sèches, le riz, les tourtes et les tartes salées, les poissons et fruits de mer, les viandes, les légumes et les céréales, les pizzas, les focaccias, les fromages et les desserts.
On trouve ainsi dans ce livre un gratin de polenta au speck, une soupe de courgette aux croûtons, des paccheri aux artichauts et à la sauge, des penne en sauce tomate, thon et olives, un risotto aux moules et au safran, une soupe de pois chiches au rouget, un crumble de salsifis, un millefeuille de chocolat et mascarpone…
Si l’ouvrage, remarquablement illustré, se veut tourné vers la contemporanéité, on y croise les classiques, puisés dans l’ensemble de la Botte. Parce qu’il n’existe pas une mais des cuisines italiennes, nées dans l’empire romain, éclatées, enrichies par les peuples migrants, le commerce entre l’Afrique et l’Europe orientale, les flux et reflux d’épices saupoudrant les paniers de produits régionaux qui forment la structure du mangiare all’italiana, entre faim et satiété, des riches aux pauvres – toujours plus inventifs dans l’obligation de varier les plats avec trois fois moins de produits.
Assurément, cette somme de la cuisine décline une farandole de plats revisités, allégés (c’est la marque de fabrique de la cuisine dite « contemporaine » ; à vrai dire, on n’en finit plus, depuis l’entre-deux-guerres, d’alléger et de revisiter les recettes). On n’en décèle pas moins une assiette fidèle à ses traditions, éminemment maternelle, cette fameuse cuisine de mamma, enveloppante, généreuse, gourmande. Comme si les chefs italiens ne pouvaient pas totalement rompre avec la filiation.
Eataly, la cuisine italienne contemporaine, Phaidon, 512 p., 45 euros.