« En Iran, le pouvoir n’est pas menacé »
Faute de relais, la colère de la rue sera maîtrisée par le régime, estime l’ancien diplomate François Nicoullaud.
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En Iran, les émeutes qui ont enflammé plusieurs localités de province en ce début d’année n’ont guère de rapport avec les troubles des grandes villes qui ont conduit à la défaite politique des conservateurs après 2009. Peu organisés, les manifestants de 2018, ne disposent pas de relais politiques.
Qu’est-ce qui motive ces émeutes ?
François Nicoullaud : Deux mots pour qualifier l’état d’esprit des manifestants : souffrance et désespérance. Ils n’ont plus aucune perspective économique face au chômage et à la hausse des prix, et pas plus d’espoir de changement politique. Ils éprouvent un sentiment de blocage et de frustration.
Pourtant, avec la levée d’une grande partie des sanctions à la suite de l’accord sur le nucléaire, le pays n’a-t-il pas retrouvé une certaine aisance économique ?
Le pouvoir iranien se rêvait en « Chine du Moyen-Orient » : la prospérité économique dans un régime autoritaire. Mais le pays en est très loin ! Une première raison tient à l’attitude des États-Unis, ex-premier partenaire économique de l’Iran. Barack Obama voulait sincèrement jouer le jeu de la détente après l’accord sur le nucléaire. Mais les lenteurs de sa machine administrative ainsi que son absence de zèle en fin de mandat ont entravé l’embellie économique. Ensuite, non seulement Donald Trump a maintenu les sanctions états-uniennes, ce qui était prévu, mais, surtout, il a mené une politique d’intimidation pour dissuader les investisseurs des autres pays de faire des affaires en Iran.
Cependant, la faible performance iranienne depuis l’accord s’explique aussi par des insuffisances propres au pays. La gangrène du système bancaire et financier décourage les investissements. Enfin, le régime est en partie paralysé par des luttes de factions et, pour beaucoup, occupé à assurer sa propre survie.
La colère de la rue fait-elle vaciller la République islamique ?
Un certain nombre d’observateurs le suggèrent, mais c’est une erreur d’analyse frappante ! Le régime n’est pas menacé. Cela tient à la nature des émeutes, spontanées et peu organisées, rappelant les troubles des banlieues françaises en 2005. Les manifestants proviennent d’une frange de la population très peu politisée.
Par ailleurs, la classe moyenne iranienne entretient avec le régime une sorte de pacte de non-agression, valable tant qu’elle ne se sentira pas elle-même lésée. Cette société civile des grandes villes pourrait menacer le régime. Or, sur le plan économique, elle n’est pas aussi affectée que les manifestants. Et je ne lui vois pas de raisons, actuellement, pour se joindre à eux.
Enfin, le pouvoir religieux tient bien la barre et il a montré une certaine capacité à tirer les leçons des mouvements de contestation. Il a notamment compris qu’il ne pouvait pas traiter les manifestants aussi grossièrement qu’en 2009, quand la fraude électorale avait mis plus de trois millions de personnes de la classe moyenne dans la rue.
Le soutien de l’Iran au régime syrien, qui coûte au pays, est critiqué. La tension régionale pèse-t-elle dans le déclenchement de ces émeutes ?
« L’Iran d’abord » : c’est un slogan classique, qui ressurgit chaque fois que la rue s’agite…
Dans le cadre de la lutte d’influence pour la prééminence régionale, des pays voisins, notamment l’Arabie saoudite, ont-ils pu tenter une déstabilisation ?
Les accusations du pouvoir contre « la main de l’étranger » constituent une figure convenue pour se dédouaner de ses responsabilités. Il est vrai que les tweets de Donald Trump facilitent cette escalade verbale. Cependant, je ne vois pas l’Arabie saoudite derrière ces agitations. Elle ne dispose pas des réseaux nécessaires pour le faire, en dehors du financement de minorités périphériques comme les Baloutches, les Kurdes ou les Arabes.
Les Gardiens de la révolution islamique ont décrété la fin des troubles. Les militaires peuvent-ils être une menace pour le régime ?
Je n’y crois pas. Il n’existe pas de gènes « juntistes » au sein des forces militaires. En 2008, Bill Clinton faisait sourire en se préoccupant d’une « militarisation » du régime. Cela signifierait un retour à l’époque du shah, et, ça, les Iraniens ne l’accepteraient pas.
Les troubles semblent s’être apaisés. Que peut-il se passer désormais ?
Je ne pense pas que l’agitation redémarrera dans les jours à venir. Mais, à un moment ou à un autre, c’est plus que probable. Cela dépendra de l’attitude du gouvernement. Et, comme il n’a que peu de moyens pour traiter le mal à la racine…
François Nicoullaud Analyste politique, ambassadeur de France en Iran de 2001 à 2005.