Étienne de Silhouette : Son ennemi, c’était la finance…
Éphémère ministre de Louis XV, Étienne de Silhouette s’en prit aux privilèges de l’aristocratie. Drôle de profil !
dans l’hebdo N° 1488 Acheter ce numéro
Connaissez-vous monsieur de Silhouette ? Si le patronyme est devenu un terme du vocabulaire courant, l’histoire de celui qui fut – brièvement – surintendant des Finances de Louis XV a été totalement oubliée, et même volontairement gommée de l’histoire. « Avec un sens inné de la communication de masse, les grands financiers et la noblesse n’ont de cesse de faire oublier le nom propre Silhouette au profit du nom commun qu’ils répandent dans les libelles, les pamphlets, les chansons, et qui désigne désormais des objets ou des actes sans valeur, avant de se figer autour de ce qui est simplement esquissé ». Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, en effet, « les portraits dessinés de profil reçoivent le nom du contrôleur général des Finances ».
Né en 1709 dans une famille aisée de Limoges, de petite noblesse, le jeune Étienne est un élève sérieux, à l’esprit curieux, vite extrêmement cultivé. À 19 ans, il entreprend, comme la plupart des jeunes nobles de l’époque, son « Grand Tour » : un périple – dans son cas à travers l’Italie, l’Espagne et le Portugal – afin de parfaire son éducation et de nouer quelques amitiés parmi les personnes influentes des pays visités. Il raconte ce voyage dans un long ouvrage où il décrit particulièrement les systèmes politiques et économiques des nations traversées. Mais il est surtout sensible à l’extrême misère des peuples, qui contraste avec l’oisiveté et le luxe ostentatoire des puissants de l’époque. « Affirmer que Silhouette, dès ses premiers livres, a prophétisé la Révolution n’est en rien une allégation hâtive, écrit ainsi son biographe, Thierry Maugenest, car l’ensemble de ses écrits n’ont cessé d’alerter ses lecteurs sur cette extrémité. » Il est même « convaincu que l’aristocratie participe à l’affaiblissement de la nation », et donc de « la nécessité de rééquilibrer les richesses au sein de la société ». On pourrait dire de lui qu’il pense, comme le « Guépard » de Visconti, que « tout doit changer pour que rien ne change », tant il est persuadé qu’il faut agir « avant la venue d’une révolte de grande ampleur », essayant par là de « sauver le régime auquel il reste attaché par sa naissance »…
Après une longue ascension à la cour, Silhouette devient en mars 1759 ministre des Finances (grâce à la marquise de Pompadour). Très vite, il s’attaque alors aux privilèges de la noblesse et autres titulaires de pensions royales, ou à la caste des financiers des Fermiers généraux – qui s’enrichissent en ponctionnant une partie des taxes et impôts qu’ils sont censés récolter pour la couronne. Enfin, il impose les puissants, supprimant d’un côté les taxes sur les denrées alimentaires qui écrasent le peuple, en créant d’autres sur les signes extérieurs du luxe : carrosses, domestiques, bijoux, etc. Si sa politique est une réussite pour les finances royales et devient très populaire parmi le peuple, elle suscite immanquablement la colère des nobles. S’en prendre aux puissants n’est jamais sans danger. Enrageant de devoir payer – comme le peuple – des impôts, ils ne seront, en revanche, pas avares de calomnies pour détruire la légitimité du ministre honni auprès du roi et le couvrir de ridicule. En fonction depuis à peine de huit mois, monsieur de Silhouette devra bientôt démissionner, avant de sombrer dans l’oubli et de devenir l’objet de toutes les moqueries…
Étienne de Silhouette (1709-1767). Le ministre banni de l’histoire de France, Thierry Maugenest, La Découverte, 222 p., 18 euros.