Fipa : « Je me souviens… »
Parmi une centaine de films présentés au Fipa, à Biarritz, quelques-uns se sont distingués dans leur rapport à la mémoire.
dans l’hebdo N° 1488 Acheter ce numéro
Brest, années 1950. La période est à la reconstruction. Les terribles conditions de travail sur les chantiers conduisent les ouvriers à se lancer dans une grève longue. À l’occasion d’une manifestation organisée par la CGT, interdite par arrêté municipal, grévistes et policiers s’affrontent. Les forces de l’ordre tirent. Un homme est abattu, Édouard Mazé, au milieu de ses camarades. Le syndicat invite alors le jeune cinéaste René Vautier (il a 22 ans) à filmer les revendications et la lutte ouvrière.
Adapté de la bande dessinée de Kris et Étienne Davodeau, Un homme est mort, d’Oliver Cossu, est l’un des rares films d’animation présentés cette année au Festival international des programmes audiovisuels (Fipa). Un film scénarisé par Kris, Guillaume Mautalent et Sébastien Oursel, déployant son graphisme marqué par des lumières apocalyptiques et un trait brut, au diapason de l’atmosphère brestoise d’alors. Après la mort d’Édouard Mazé, les propositions du patronat, bien que dérisoires, sont acceptées par la majorité des grévistes. Personne n’a été inculpé. Deux ans plus tard, une nouvelle grève ne donnera rien. Subtilement (même si le scénario pèche par quelques facilités), le réalisateur rend là un double hommage : à une figure ouvrière d’abord, à un cinéaste ensuite.
Ce travail sur la mémoire, c’est aussi l’entreprise époustouflante menée par Ruth Zylberman, choisissant « au hasard », dit-elle, un immeuble. Durant plusieurs années, elle a enquêté pour retrouver les anciens locataires du 209, rue Saint-Maur, dans le Xe arrondissement parisien, avant de reconstituer l’histoire de cette communauté. De 1936 à l’Occupation, trois cents habitants logeaient là. Près d’un tiers d’étrangers, de juifs venus de Pologne, de Roumanie, tous artisans, ouvriers, un policier aussi. Redessinant le cadre de ce corps de bâtiments, avec ses cages d’escalier, ses toilettes sur le palier, la cinéaste réactive les lieux. Untel ici, à tel étage, untel autre là, deux étages plus bas, une famille nombreuse pour voisins… Si elle introduit des images d’archives, des incrustations historiques, des éléments miniatures en guise d’illustrations pour représenter les appartements, retrouvant les survivants du 209, à Paris, en banlieue, en province, à l’étranger, elle redonne vie aux existences oubliées.
Face caméra, les souvenirs vont et viennent, remontent en surface, les plus tragiques, entre rafles et arrestations. Cinquante-deux personnes ont été déportées, d’autres protégées, cachées. Sans rien céder au pathos, mais sur le fil de l’émotion, une émotion contenue, Les Enfants de la rue Saint-Maur tient de bout en bout sur ce dynamisme, entre hier et aujourd’hui, dans la confrontation entre le passé et le présent, les locataires actuels s’ajoutant aux histoires, à une mémoire collective et individuelle.
Avec Petits arrangements avec la vie, le rapport à la mémoire est autre. C’est d’abord le film de Christophe Otzenberger, passant deux ans dans les couloirs des hôpitaux, cadrant des patients en lutte contre la maladie, tandis que lui-même est atteint d’un cancer. Il le sait, ce sera son dernier film (sa projection au Fipa est un hommage au cinéaste disparu l’an dernier). Sombre tableau. Quoique.
Avec Christophe Otzenberger, « dès qu’il y a une échéance quelconque, on a envie d’aller au bout », et le plus drôlement possible. La scène, ahurissante, de sa lecture d’une rubrique nécrologique en est un exemple. « On fait comment quand on est mort ? », s’interroge-t-il, dans le paysage breton de Roscoff, filmé par Stéphane Mercurio.
Petits arrangements avec la vie se révèle alors un film à quatre mains, déployé en ricochets, un film dans le film, puisque ce sera à la cinéaste d’aller « au bout » du projet. Avec la même espièglerie, le même sourire en coin, à la mémoire du réalisateur.
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