Le pari de l’intelligence
Abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes : une grande victoire des paysans, des riverains, des zadistes, et tous ceux qui, depuis un demi-siècle, ont su occuper le « terrain », médiatique, politique et scientifique.
dans l’hebdo N° 1486 Acheter ce numéro
La messe est dite. D’ici à la fin de cette semaine, le président de la République ou le Premier ministre – ou peut-être même Nicolas Hulot (qui a assez souffert pour mériter ce petit privilège) – annoncera l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. C’est une grande victoire des paysans, des riverains, des zadistes, et tous ceux qui, depuis un demi-siècle, ont su occuper le « terrain » dans tous les sens du terme, médiatique, politique et scientifique. C’est la victoire d’une intelligence collective qui, à force d’arguments, a fait vaciller les certitudes les plus arrogantes. Mais maintenant, quoi ? Que faire de ce vaste bocage ? Et de ceux qui l’occupent ?
Rêvons un peu. Supposons par exemple que Gérard Collomb soit invité à remiser dans la réserve les matraques de ses CRS, et Jean-Yves Le Drian les lance-grenades de ses gendarmes. Supposons que l’on ait juré en haut lieu, et une fois pour toutes, qu’il n’y aurait plus d’autres Rémi Fraisse. Supposons que l’on ait décidé de couvrir de ridicule ces articles de presse qui, avec ostentation, ont rendu compte ces dernières semaines de préparatifs guerriers, analysé les stratégies militaires, présenté la ZAD comme un camp retranché piégé de chausse-trapes et peuplé de terroristes avides de violences.
Imaginons que, tout au contraire, le gouvernement fasse le pari de l’intelligence et considère les opposants pour ce qu’ils sont : une population pacifique de paysans et de néo-ruraux, un collectif d’associations plus déterminé par l’intérêt général que par l’instinct de propriété et le goût du profit. Imaginons que le pouvoir ait admis que ces femmes et ces hommes qui ont cultivé cette terre, construit des fermes, investi en ce lieu une partie de leur vie ont acquis le droit d’être entendus et même écoutés à l’heure des choix.
Pour que le rêve devienne réalité, il faudrait bien sûr que soit mis fin aux procédures d’expulsion et que les expérimentations agricoles qui sont à l’œuvre depuis maintenant des années puissent être poursuivies et même soutenues. « Nous semons et construisons déjà un avenir dans la diversité et la cohésion », écrivaient les zadistes il y a peu. Pas vraiment un brûlot menaçant la paix civile ! Lundi encore, un texte signé de plusieurs centaines d’organisations appelait au dialogue pour faire du bocage de Notre-Dame-des-Landes « une terre d’inspiration et d’espoir ». La tonalité de ce document, qui contredit bien des préjugés, place le gouvernement devant un vrai dilemme. Depuis huit mois qu’il est à l’Élysée, Emmanuel Macron n’a cessé de donner des gages au Medef et à la finance. L’accumulation de ses mesures antisociales lui a valu le sobriquet mérité de « président des riches ». Les dispositions anti-immigrés – « les pires depuis la Deuxième Guerre mondiale », juge le sociologue Patrick Weil – ont fini de ruiner un discours pseudo humaniste qui convoquait les mânes du philosophe chrétien Paul Ricœur. Il ne lui reste plus guère comme capital intellectuel et moral que la défense de l’Accord de Paris sur le climat. Et l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est cohérent avec cette grande profession de foi présidentielle.
À condition qu’il ne s’agisse pas ensuite de céder ces quelque mille six cents hectares de zone humide à des grands céréaliers. Et d’échanger Vinci pour la FNSEA. Et, cela, après une opération militaire de grande envergure dont nul ne peut prévoir le bilan humain. L’image de missi dominici de l’Accord de Paris serait en lambeaux. On voit bien le profit politique que Macron pourrait tirer d’une sortie par le haut de cet interminable conflit. L’annonce de la transformation de Notre-Dame-des-Landes en « laboratoire écologique et social » aurait fière allure. Le rapport des médiateurs ne l’exclut pas, évoquant même un programme d’expérimentation « de pratiques agro-environnementales rénovées » qui serait « piloté par l’État et les acteurs locaux ».
L’histoire contemporaine nous offre l’exemple du Larzac. La solution à la fois pacifique et réaliste qui avait prévalu après l’annulation par François Mitterrand du projet d’extension du camp militaire sur le Causse du Larzac devrait inspirer le pouvoir d’aujourd’hui. On imagine bien que ce n’est pas facile pour un gouvernement dont la base sociale est nettement du côté de la construction de l’aéroport et, plus encore, de l’emploi de la force. On entend déjà les cris d’orfraie de Manuel Valls et consorts. Car bien au-delà de l’affaire de Notre-de-Dame-des-Landes, c’est de doctrine politique qu’il s’agit. Les adeptes de la castagne ne sont jamais rassasiés. Et il ne faut pas les chercher du côté de la ZAD. C’est un mode de gouvernement. Ceux-là considéreront toujours que composer avec une mobilisation populaire, même pour promouvoir une solution harmonieuse, c’est déchoir, et rendre des points à « l’ennemi de classe ». Ce qui me fait dire que le pari de l’intelligence pourrait bien en effet n’être qu’un rêve.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
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